Table ronde d’expert⋅e⋅s « D’un statut provisoire à un statut durable. L’intégration des personnes relevant du domaine de l’asile »

Une des responsabilités d’un Pôle national de recherche tel que le « nccr – on the move » est d’initier et de stimuler un dialogue entre recherche et pratique. La première table ronde d’expert⋅e⋅s organisée à Berne le 12 décembre 2016 s’inscrit dans cette volonté d’ouvrir le débat. Le thème choisi, celui de l’intégration des personnes relevant du domaine de l’asile, a suscité un grand intérêt, quelque 60 participant⋅e⋅s ayant répondu présent⋅e⋅s. La journée a ainsi permis la présentation d’analyses économiques, juridiques, démographiques, et de sciences politiques menées au sein du « nccr – on the move », ainsi que leur mise en perspective, parfois critique, toujours constructive, par nos invités représentants de la pratique. Les discussions ont été fournies et constituent la preuve du succès de cette table ronde.

« La politique d’intégration est en mutation ». Gianni D’Amato, directeur du « nccr – on the move », a ouvert la journée sur ces mots, mentionnant les différents chantiers législatifs en cours. La journée entière a démontré comment, dans le domaine de l’asile, la question de l’intégration est complexe, aux confluents de législations et d’intérêts divers, et de pratiques peu unifiées.

La matinée a été consacrée aux défis et opportunités liés aux procédures d’asile. La présentation de Dominik Hangartner a d’abord montré, à partir de données quantitatives, les effets positifs d’une procédure d’asile rapide sur l’intégration professionnelle des personnes au bénéfice d’une admission provisoire. La prise en compte des compétences linguistiques des individus dans leur attribution aux cantons constitue également un facteur positif : les personnes provenant de pays africains francophones voient pratiquement leur probabilité de trouver un emploi doubler dans les cantons romands. Teresia Gordzielik a ensuite proposé une analyse juridique des prestations sociales accordées aux demandeuses et demandeurs d’asile, mettant en lumière deux tendances liées. D’un côté le démantèlement des prestations accordées, censées garantir aux personnes des droits humains de base ; de l’autre la part croissante des éléments de contrôle dans ces mêmes prestations. La chercheuse suggère que la Confédération mette en place des conditions-cadres pour éviter les inégalités cantonales dans ce domaine et « apporter de la lumière dans une jungle caractérisée par l’arbitraire ». Les résultats de recherche présentés par Veronica Preotu Petrencu, enfin, établissent un lien de causalité entre l’exposition à la violence (guerre et génocides) pendant l’enfance et le risque de comportements criminels parmi les requérant⋅e⋅s d’asile en Suisse. La chercheuse met cependant en lumière les effets positifs à cet égard de certaines politiques, en particulier celles qui promeuvent l’intégration de ces personnes en facilitant leur accès au marché du travail ou en leur offrant des perspectives durables de rester.

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Les présentations et débats de l’après-midi ont quant à eux traité des trajectoires d’intégration des personnes relevant du domaine de l’asile. La présentation de Philippe Wanner a souligné les avantages d’une analyse longitudinale – une méthodologie novatrice – des données quantitatives pour mesurer l’intégration structurelle des personnes du domaine de l’asile. Une telle reconstruction des trajectoires permet de montrer qu’il existe, du moins dans certain cas, un lien entre procédures d’asile rapides et intégration sur le marché du travail. Le chercheur met cependant en garde contre une analyse mono-causale : il est nécessaire de prendre en considération d’autres facteurs explicatifs, qu’ils soient contextuels – notamment les phénomènes de discrimination – ou liées aux caractéristiques des individus, par exemple leur niveau de qualification, leurs réseaux personnels, ou encore leurs compétences linguistiques. Finalement, Stefanie Kurt et Valentin Zuber ont présenté un outil qui sera mis très prochainement à disposition de toute personne intéressée, du domaine de la pratique, du politique, de la recherche ou encore des médias, et qui permet de rendre compte des parcours vers la citoyenneté. Cette base de données exhaustive des bases législatives fédérales et cantonales concernant la naturalisation, les droits politiques, l’intégration et l’accès au permis d’établissement, doit servir, selon les intervenant⋅e⋅s, à « une meilleure compréhension de la manière dont les institutions suisses gèrent les questions migratoires ».

Les remarques des représentants de la pratique invités à commenter les différentes présentations, et les débats que ces commentaires ont lancés, ont été vifs et stimulants. Constantin Hruschka (Organisation suisse d’aide aux réfugiés), Attilio Cometta (Conférence des délégués cantonaux à l’intégration), Adrian Gerber (Secrétariat d’État aux migrations) et Joachim Stern (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), ont – heureusement pour nous – confirmé la pertinence des résultats présentés de leur point de vue. Ils se sont entre autres accordés sur l’importance de reconnaître les effets négatifs de longues périodes d’incertitude légale et d’un accès limité, voire inexistant, aux mesures d’intégration pour certaines personnes qui sont pourtant appelées à rester. Manquer cette « fenêtre d’intégration » – comme l’a appelée Dominik Hangartner – est néfaste pour les personnes concernées, mais également pour le pays qui les accueille. Joachim Stern a d’ailleurs rappelé que la Suisse était le seul pays à maintenir un statut aussi précaire que celui de l’admission provisoire.

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Les effets concrets des différences cantonales pour les personnes concernées, au plan législatif comme à celui de la pratique, ont également suscité de nombreuses réactions de la part des participant⋅e⋅s. Attilio Cometta a entre autres insisté sur l’importance du travail de la Confédération pour garantir une meilleure égalité de traitement. Le public a également mis en avant la nécessité d’échanger sur les bonnes pratiques cantonales dans ce contexte. La base de données créée par les chercheuses et chercheurs du « nccr – on the move » peut contribuer à ces échanges en fournissant une base de discussion solide et complète. D’ailleurs, très concrètement, la table ronde a permis de réaliser la pertinence d’intégrer les bases législatives sur les prestations sociales analysées par Teresia Gordzielik à cette base de données.

Certaines dimensions spécifiques de l’intégration ont encore fait l’objet de débats animés. Plusieurs personnes ont noté la nécessité de différencier les parcours d’intégration, notamment en fonction du genre, de l’origine, du niveau de formation, ou encore de la couleur de peau des individus concernés. Les conditions dans lesquelles ces parcours d’intégration ont lieu constituent également une dimension importante, en particulier en ce qui concerne la reconnaissance des qualifications ou des diplômes, ou encore – aspect largement discuté – les processus de discrimination auxquels sont confrontées les personnes du domaine de l’asile.

Finalement, si tout le monde s’accorde sur la nécessité de continuer la recherche dans ce domaine et de faire connaître les résultats, la manière de le faire reste une question complexe. Selon Constantin Hrushka, alors que la Suisse comme le reste du monde est entrée dans l’ « ère de la post-vérité », il est plus que jamais nécessaire de trouver les moyens pour faire entendre – et comprendre – nos résultats au monde politique. Autre mot-clé de l’année 2016, celui de « bulle de filtrage », utilisé par Adrian Gerber pour souligner l’importance d’initier spécifiquement un dialogue avec les personnes, à tous les niveaux politiques, qui ne sont pas déjà informées de nos résultats.

En guise de conclusion, Gianni D’Amato s’est dit conscient des immenses responsabilités du « nccr – on the move ». La recherche de pointe menée au sein de ce réseau d’excellence suisse doit être reconnue, ses résultats pris en compte au-delà du monde académique. La table ronde d’expert⋅e⋅s organisée à Berne constitue un outil parmi d’autres dans ce but. C’est ensuite aux représentant⋅e⋅s des communes, des cantons, et de la confédération, des organisations non-étatiques ou encore de la société civile de développer des discours, des actions, des pratiques, des politiques et des législations qui s’inspirent de ces résultats. De notre côté, les échanges initiés lors de cette journée nous ont convaincu de la nécessité de poursuivre dans cette voie du dialogue.

Joëlle Moret, Responsable du transfert de connaissances, « nccr – on the move »