Retour sur la notion de passeur

16.06.2017 , in ((Politica)) , ((No commenti))

La notion de passeur est aujourd’hui négativement connotée: elle renvoie généralement à l’image d’êtres malveillants qui profitent de personnes vulnérables pour s’enrichir à leurs dépens. Il est nécessaire de revenir sur les significations de ce terme dans le contexte actuel afin de déconstruire les idées reçues qui lui sont associées.

Les passeuses et passeurs sont régulièrement pointés du doigt comme l’une des causes principales du décès de personnes tentant de rejoindre l’Europe par la Méditerranée. Ainsi, la lutte contre les réseaux de trafic de migrant·e·s se trouve au centre de la stratégie de la Commission européenne et vise, selon elle, avant tout à «sauver des vies». Il est évident que l’afflux de réfugié·e·s aux frontières de l’Europe a donné jour à des commerces orientés sur le gain plutôt que sur la sécurité des personnes. De nombreux stéréotypes et idées reçues sont toutefois associés à la notion de passeur. Il est donc essentiel de revenir sur les significations de ce terme dans le contexte actuel.

Un sujet peu étudié

Il existe actuellement peu d’études sur les réseaux de passeuses et passeurs actifs aux frontières de l’Europe. La recherche existante montre cependant que les grandes organisations de type mafieuses sont plus rares qu’on ne l’imagine et que souvent, la traversée illégale d’une frontière se fait avec l’aide d’autres migrant·e·s qui peuvent être des connaissances, des ami·e·s ou des membres de la famille.

Une définition controversée

Les Nations Unies définissent le trafic illicite de migrant·e·s comme «le fait d’assurer l’entrée illégale dans un État d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel». Contrairement au trafic d’être humain, le trafic illicite est basé sur une transaction choisie par les parties impliquées (voir aussi Des faits plutôt que des mythes no. 39). En pratique, la distinction entre processus volontaires et involontaires est cependant difficile à établir. De plus, une telle définition n’est pas neutre sur le plan politique: en insistant sur la dimension «illicite» de l’activité des passeuses et passeurs, elle légitime des mesures de lutte qui visent avant tout à rendre les frontières encore plus imperméables pour certaines catégories de personnes.

Un thème sensible

Récemment, plusieurs organisations qui viennent en aide aux personnes perdues en Méditerranée ont été accusées de jouer le jeu des passeuses et passeurs en facilitant les traversées et en encourageant les migrant·e·s à s’aventurer sur des embarcations toujours plus précaires. Cependant, cette criminalisation des ONG permet aussi de détourner l’attention des raisons pour lesquelles les migrant·e·s tentent la traversée et de décourager les actions de solidarité.

Des significations changeantes

Notons finalement que le sens du mot passeur change selon l’époque et le cadre dans lequel il est utilisé. Alors qu’il est aujourd’hui principalement connoté négativement, renvoyant à l’image d’êtres malveillants qui profitent de personnes vulnérables pour s’enrichir à leurs dépens, les récits concernant la seconde guerre mondiale présentent plus souvent la passeuse et le passeur comme un être altruiste qui aide les personnes fuyant la persécution nazie à se réfugier dans un pays plus sûr. La question financière n’est généralement pas évoquée dans ce second cas, ou alors elle est reléguée au second plan pour mieux insister sur l’acte héroïque de sauvetage. Pourtant, les trafics à but lucratif ont également existé à cette époque et les passeuses et passeurs étaient comme aujourd’hui passibles de sanctions. En Suisse, ce n’est qu’en 2004 qu’une loi a permis de réhabiliter les personnes condamnées pour avoir aidé des personnes à traverser la frontière durant les années de guerre.

Rappelons-nous donc qu’aujourd’hui comme autrefois, les passeuses et passeurs existent avant tout parce qu’un régime politique interdit à certaines personnes de franchir légalement des frontières qui leur donneraient accès à plus de sécurité et à de meilleures perspectives d’avenir.

Laure Sandoz
Doctorante, nccr – on the move, Université de Bâle

 

À l’origine, ce billet a été publié le 31 mai 2017 sur le blog Des faits plutôt que des mythes. Les débats publics sur l’asile et la migration sont souvent empreints de mythes et d’opinions, sans que soit prise en considération la réalité des faits. En collaboration avec le Réseau suisse de jeunes chercheurs et chercheuses en études des migrationsl’OSAR souhaite questionner ces mythes et alimenter ainsi objectivement le débat.

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