Le respect des droits culturels des migrant·e·s en Europe et en Suisse – Une perspective juridique
En Europe, comme partout dans le monde, les personnes étrangères – selon la terminologie du droit européen, les « ressortissant·e·s d’États tiers », non des pays de l’UE ou des pays associés comme la Suisse – rencontrent de nombreux obstacles à l’exercice de leurs droits culturels, et ce à plusieurs niveaux. Elles ou ils ont des possibilités très limitées de voyager ou de migrer, et dans les différents pays d’accueil, l’exercice de leurs droits culturels est souvent compromis.
De surcroît, les personnes migrantes ne font pas assez usage de leurs autres droits fondamentaux ou humains – ayant tous une dimension culturelle, de peur de donner l’impression de ne pas vouloir s’intégrer, d’être trop différentes, etc., ce qui leur est parfois reproché notamment lors de demandes de naturalisation.
Possibilités de séjour limitées
Les possibilités de migrer pour des personnes travaillant dans le domaine culturel sont très limitées. A savoir, dans l’Union européenne, pour obtenir un visa « Schengen », valable pour un séjour jusqu’à 90 jours (sur une période de 180 jours), les conditions suivantes doivent être remplies : disposer de moyens financiers suffisants, ne présenter aucun risque d’immigration illégale ni de menace à la sécurité du pays, et avoir l’intention de partir avant l’expiration du visa. La Suisse est membre de l’espace Schengen et peut de ce fait également octroyer des visas « Schengen ».
Il existe également la possibilité de se voir octroyer un visa national par les États membres de l’UE et la Suisse avec une durée de validité supérieure à 90 jours.
En général, l’absence de moyens financiers est un obstacle aux demandes de visas. Seuls les artistes reconnu·e·s, qui sont repéré·e·s et soutenu·e·s par des associations, parviennent à remplir cette condition. Les conditions pour l’obtention d’un permis de séjour sont encore plus sévères.
Le droit européen prévoit plusieurs possibilités : Selon la directive de l’UE dite directive « Carte bleue », il faut être une personne « hautement qualifiée ». Cette notion ne se réfère pas à des capacités (« skills »), mais à des diplômes (« qualifications »). En plus, la directive est susceptible d’engendrer une « fuite des cerveaux » vers l’Union européenne, particulièrement dommageable pour les États d’origine des migrant·e·s. Un recrutement éthique est donc très important. Il existe aussi une directive au sujet des étudiant·e·s et chercheurs·ses, une directive concernant les travailleurs·ses saisonniers·ères et une directive pour les personnes transférées intra-groupe (ICT).
La Suisse, dans sa loi sur les étrangers et l’intégration (LEI), retient également comme condition à l’immigration le critère de haute qualification. Seul·es les cadres, les spécialistes ou autres travailleurs·ses qualifié·e·s peuvent obtenir une autorisation de courte durée ou de séjour. Exceptionnellement, des « personnalités reconnues des domaines scientifique, culturel ou sportif » peuvent être admises. De plus, une « préférence nationale » s’applique : un·e employeur·e ne peut engager une personne étrangère que s’il ou elle prouve que la position ne peut pas être occupée par un·e Suisse·sse.
Capacité de participation culturelle faible
La participation à la vie culturelle dans les pays d’accueil des personnes exilées est extrêmement faible. Pour les personnes ayant un statut légal, les possibilités d’organiser des évènements culturels sont trop limitées. Faute de budget, les personnes étrangères actives dans le domaine culturel sont invisibles. Ce constat est d’autant plus pertinent en ce qui concerne les personnes sans papiers (sans statut légal).
Récemment, certaines villes suisses, dont la ville de Zurich, ont lancé des initiatives qui permettront aux personnes sans papiers de participer à la vie culturelle de leur ville par la création de leur propre carte de résident·e (City Cards). L’idée est née sur le continent nord-américain, où des « sanctuary cities » se sont créées (notamment à Toronto et New York). La portée de ces initiatives reste toutefois très limitée ; la carte ne légalise personne et n’empêche pas la police de contrôler les titres de séjour.
Dimension culturelle de tous les droits fondamentaux
Finalement, tous les droits fondamentaux et droits humains (liberté économique, liberté de religion, liberté d’expression, liberté de la recherche, etc.) ont une composante culturelle. Celle-ci est souvent négligée. Par exemple, le droit de vote et d’éligibilité des migrant·e·s n’existe que dans une mesure très limitée.
Programmes pour artistes et incitation à la participation culturelle
Force est de constater qu’il existe un besoin de créer des programmes spéciaux dans le domaine culturel, par exemple un visa pour artistes (et non pas comme en droit suisse, un permis pour les « artistes de cabaret », un statut aboli depuis 2016), un permis de séjour spécial avec des conditions allégées, la possibilité de partenariats privés (sponsorships), etc.
Il est également important de renforcer les initiatives des villes, pour permettre à toutes les personnes migrantes de participer à la vie culturelle, sans devoir s’assimiler (c’est-à-dire renoncer à leur culture d’origine), et en ayant la possibilité de vivre dans un climat dans lequel une démonstration publique de sa propre culture (à travers l’art, la nourriture, l’écriture, etc.) est possible sans crainte et relève de la normalité. Il est de plus nécessaire de faire participer les personnes migrantes à la vie politique du pays d’accueil.
Prof. Sarah Progin-Theuerkauf est Professeure en droit européen et en droit européen des migrations à l’Université de Fribourg. Elle codirige également le Centre de droits des migrations / Zentrum für Migrationsrecht (CDM). De 2014 à 2018, elle a dirigé le projet « The Emergence of a European Law on Foreigners » du nccr – on the move.
Références :
– O’Nions, H. (2014). Minority and Cultural Rights of Migrants, in: Chétail, V. and Bauloz, C. (eds.), Research Handbook on International Law and Migration. Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 239–264.
– Chechi, A. (2016). Migrants’ Cultural Rights at the Confluence of International Human Rights Law and International Cultural Heritage Law, International Human Rights Law Review (5), 26–59.
– Chechi, A. (2019). Migration, Cultural Heritage, and Cultural Rights: A Critical Assessment of European Union Law and Policy. In: Jakubowski, A., Hausler, K., and Fiorentini, F. (eds.), Cultural Heritage in the European Union. A Critical Inquiry into Law and Policy, Brill, 294–323.
– Kosińska, A. M. (2019). Cultural Rights of Third-Country Nationals in EU Law. Palgrave Macmillan.
– Lenard, P.T. (2010). Culture, Free Movement, and Open Borders, The Review of Politics 72(4), Fall 2010, 627–652.
– Bauböck, R. (1996). Cultural Minority Rights for Immigrants, International Migration Review 30(1), 203 –250.
– OHCR (2014). The economic, social and cultural rights of migrants in an irregular situation, Genève.
– Caroni, M., Schreiber, N., Preisig, C., Zoeteweij, M, (2018). Migrationsrecht, 4e éd. Bern, Stämpfli Verlag.