Asile et aide alimentaire : les dispositifs pour les plus démuni·e·s
Rendue très visible par la pandémie de Covid-19, la question de l’aide alimentaire est pourtant peu documentée en Suisse. Depuis 2019, une recherche analyse les dispositifs d’aide alimentaire en Suisse. Les inégalités d’accès à l’aide alimentaire touchant les migrant·e·s issu·e·s de l’asile illustrent l’injustice sociale.
Bien que subventionnée par les pouvoirs publics, l’aide alimentaire en Suisse est largement prise en charge par un secteur associatif soutenu par des fondations privées et la générosité des citoyen·ne·s. Supposée pallier les lacunes de la protection sociale, l’aide alimentaire n’est pas accessible pour toutes et tous de manière égale. En effet, si les personnes réfugiées en possession d’un permis B (permis de séjour renouvelable tous les 5 ans) peuvent accéder à la plupart des dispositifs d’aide alimentaire, les requérant·e·s d’asile en procédure (permis N), celles et ceux admis·es à titre provisoire (permis F) et les personnes déboutées ne bénéficient généralement que d’un accès restreint à l’aide alimentaire, alors même que ces personnes comptent parmi les plus démuni·e·s. Ce billet de blog fait l’état des lieux des dispositifs d’aide alimentaire pour les personnes migrantes issues de l’asile dans le canton de Fribourg.
Structure de l’aide alimentaire en Suisse
Les dispositifs d’aide alimentaire peuvent être différenciés selon trois critères : le type d’organisation, le type d’alimentation et la conditionnalité de l’aide. D’un côté de la chaîne d’approvisionnement, il existe des banques alimentaires ou dispositifs assimilés qui récupèrent des invendus ou achètent de la nourriture en gros pour la redistribuer à des organisations en contact avec des bénéficiaires. Ces organisations du terrain sont généralement des associations, mandatées ou non par l’Etat, dont l’objectif peut être directement lié à l’aide alimentaire ou plus largement dédié à diverses problématiques sociales (ex. hébergement pour « sans-abris », accueil de jour inconditionnel etc.) auxquelles s’intègre l’aide alimentaire. Les dispositifs d’aide alimentaire recourent principalement à trois modalités de distribution de nourriture : les repas chauds servis à table, les colis alimentaires et l’épicerie sociale gratuite ou payante dans laquelle le choix des produits est possible. L’accès à ces structures peut être inconditionnel (ouvert à toutes et tous) ou conditionnel (les associations définissent des critères de minima sociaux, de résidence et de statut légal). Les grandes associations comptant plusieurs antennes dans le canton, voire dans toute la Suisse, émettent des critères de conditionnalité réservant leur aide aux personnes bénéficiant de permis de séjour (B), d’établissement (C) et suisses, excluant les personnes requérantes d’asile en procédure (N), admises à titre provisoire (F) ou déboutées (RAD).
L’aide alimentaire pour les personnes au bénéfice d’un permis B : un complément ou un substitut à l’aide sociale ?
Le statut juridique des personnes migrantes conditionne en grande partie les ressources économiques dont elles disposent et leur possibilité d’accès à différents dispositifs d’aide publique et privée. Tout d’abord, les personnes avec un permis B ne demandent pas toujours l’aide sociale en raison de l’entrée en vigueur de la révision de la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr) en 2019 qui prévoit que toutes personnes à l’aide sociale risquent de se voir refuser le renouvellement de leur permis de séjour et les possibilités de regroupement familial. A défaut de bénéficier de l’aide sociale, ces personnes peuvent solliciter le soutien des principales associations d’aide alimentaire du canton (Table Couvre-Toi ou les Cartons du Cœur, notamment).
L’aide alimentaire pour les personnes aux statuts de séjour précaires (RAD, N, F) : une ressource insuffisante mais indispensable
A contrario, les personnes requérantes d’asile, admises à titre provisoire, en procédure ou déboutées bénéficient d’une aide financière très peu élevée (395 CHF/mois par adulte) et n’ont accès qu’aux dispositifs d’aide alimentaire inconditionnelle (Direction de la Santé et des Affaires sociales, 2018). Dans le canton de Fribourg, on comptait 5 structures inconditionnelles avant le début de la pandémie. Bien qu’en théorie ouvertes à toutes et tous, en pratique, elles sont fréquentées de manière différenciée selon les publics. Ainsi, les restaurants sociaux et les lieux « bas-seuil » accueillent majoritairement des hommes, alors que les familles fréquentent davantage les associations distribuant des colis alimentaires. Des « Repas-Partage » sont organisés par Caritas deux fois par mois et par La Red deux fois par semaine avec l’objectif de mêler convivialité et solidarité. Ces repas, gratuits ou à contribution libre, sont fréquentés par un public varié dont des migrant·e·s issu·e·s de l’asile, venant seuls ou en famille.
Les effets de la pandémie sur l’aide alimentaire : dispositifs d’urgence et concentration de l’offre
Depuis le printemps 2020, la pandémie a modifié le paysage des dispositifs de l’aide alimentaire et de nouvelles distributions d’urgence ouvertes à toutes et à tous ont multiplié les possibilités d’accès à une aide alimentaire pour les personnes « sans-droits ». Cependant, la pandémie a aussi réduit l’accès à certains dispositifs. Par exemple, les restaurants sociaux ont dû réduire le nombre de leurs places à table au minimum, les réservant aux « sans-abris » et/ou ont remplacé leur offre de repas chauds par des sacs alimentaires.
Aide alimentaire et renforcement des inégalités sociales ?
Finalement dans un pays parmi les plus riches du monde comme la Suisse, le secteur associatif, appuyé par la générosité des dons des citoyen·ne·s et les investissements défiscalisés des fondations, prend le relais de l’Etat social lorsque celui-ci ne pourvoit pas ou plus. A Fribourg, là où la générosité des associations et l’engagement des bénévoles n’est pas à remettre en question, la conditionnalité de l’aide alimentaire crée tout de même des hiérarchies parmi les populations les plus précaires. Non seulement elles n’ont pas accès aux mêmes droits (sociaux notamment, en fonction des permis de séjour), mais encore elles ne bénéficient pas de la même qualité ou diversité de soutien associatif en matière d’aide alimentaire. En effet, les associations les plus grandes et les mieux dotées n’incluent généralement pas les personnes issues de l’asile dans leur charte.
Anne-Laure Counilh est collaboratrice scientifique à la Haute école de travail social, HETS / HES-SO Genève
Bibliographie
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– De Schutter, O. (2014) Rapport final: Le droit à l’alimentation, facteur de changement, Rapport soumis par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation au Conseil des droits de l’Homme de l’Assemblée générale des Nations Unies, 24 janvier 2014, A/HRC/25/57
– Direction de la Santé et des Affaires sociales (2018) Normes d’aide sociale pour les personnes relevant du domaine de l’asile. Etat de Fribourg, 20 p.
– Herman, A., Goodman, M. K., & Sage, C. (2018). Six questions for food justice. Local Environment, 23(11), 1075-1089.
– Ossipow L., Counilh A.-L., Cerf Y. (2021). « Les dispositifs d’aide alimentaire à Genève et Fribourg: aide d’urgence et droit à l’alimentation», in E. Rosenstein et S. Mimouni, COVID-19: Tome II. Les politiques sociales à l’épreuve de la pandémie. Genève: Seismo (en cours de publication).
– Ossipow, L., Cerf, Y., Counilh, A.-L. (2020) “Indigence en pays d’opulence”, REISO, Revue d’information sociale, mis en ligne le 2 juillet 2020, https://www.reiso.org/document/6117.
– Riches, G. (2018). Food Bank Nations. Poverty, Corporate Charity and the Right to Food. London: Routledge.