Comportements familiaux des populations étrangères en Suisse

08.11.2023 , in ((Migration-Mobility Survey '22)) , ((No commenti))

La Suisse, comme de nombreux pays industrialisés, fait face à une diminution progressive du nombre d’enfants au sein de la population possédant la nationalité Suisse, ce qui impacte sa structure démographique et accroît le vieillissement. A l’inverse, de par un nombre d’enfants moyen plus élevé, les femmes étrangères freinent ce vieillissement. L’enquête Migration – Mobility 2022 permet une analyse de la fécondité des étrangères en Suisse, et plus généralement des modes d’accueil de leurs enfants et des difficultés qu’elles ont pu rencontrer.

Le nombre d’enfants par femme pour les étrangères est plus élevé que celui des Suissesses (1,78 enfant en moyenne contre 1,42 pour les Suissesses en 2018 selon l’Office fédéral de la statistique). Les naissances données par des femmes étrangères surviennent plus souvent quel que soit l’âge de la vie féconde, excepté dans le groupe d’âge 30-34 ans où les naissances données par des Suissesses sont plus fréquentes.

Les comportements de fécondité des étrangères varient cependant en fonction de facteurs tels que le niveau de formation ou l’origine. En 2022, les femmes les mieux qualifiées, ainsi que celles de nationalité européenne présentent un nombre inférieur d’enfants (majoritairement 0 ou 1 enfant) comparativement aux femmes peu qualifiées ou d’origine extra européenne (majoritairement 2 enfants ou plus). Les femmes étrangères peu qualifiées ont aussi des enfants plus tôt (20-29 ans) que les femmes étrangères hautement qualifiées, lesquelles ont un âge moyen à la naissance du premier enfant (30-39 ans) qui s’assimile à celui des Suissesses. Ces comportements variés influencent la participation des femmes au marché du travail et les modes de prise en charge des enfants.

La migration interfère avec le calendrier des naissances

Le parcours migratoire semble jouer un rôle sur le calendrier des naissances. Alors que le taux des premières naissances survenant pendant l’année de la migration est faible (Gerber et Burkimsher, 2023), l’enquête MMS indique que les années qui suivent la migration sont marquées par une fécondité relativement importante : c’est deux ans après l’arrivée en Suisse que le nombre d’enfants par femme immigrée est le plus élevé.

Plus généralement, la migration et l’installation dans un pays comme la Suisse peut avoir un effet sur les aspirations concernant la taille de la famille. Notamment les femmes provenant de régions à forte fécondité adaptent leur comportement à la baisse. Inversement pour certains groupes de femmes provenant de régions à faible fécondité, elles adaptent leur comportement à la hausse.

La taille de la famille influence la participation professionnelle des femmes

Les femmes étrangères n’ayant pas d’enfant ou ayant un seul enfant sont majoritairement (56%) actives à temps plein. Il s’agit souvent de femmes vivant en Suisse pour des motifs professionnels. A l’inverse les femmes qui ont deux enfants ou plus sont majoritairement actives à temps partiel ou hors du marché du travail. La majorité de celles-ci sont venues en Suisse pour des motifs familiaux.

Diversité des modes de garde en fonction du statut professionnel du parent et de son origine

Au moment de l’enquête, l’âge moyen des enfants des femmes immigrées est légèrement inférieur à 12 ans et la majorité d’entre eux (75%) ont moins de 18 ans. Les plus jeunes enfants (0-5 ans) sont en majorité accueillis en garderie au moins une fois par semaine (60%) et/ou sont à l’école maternelle (60%). 27% sont gardés par des proches tandis que 27% des parents déclarent ne disposer d’aucune aide extérieure. Parmi les enfants placés en garderie, 53% ont leurs parents qui travaillent à temps plein et 26% ont leurs parents qui travaillent à temps partiel.

Les enfants entre 6 et 15 ans sont pour leur part majoritairement scolarisés dans des écoles publiques (82%). Seuls 10% sont dans des écoles internationales et 8% sont dans des écoles privées. Des disparités existent en fonction de la région de naissance des parents. Les enfants originaires de l’UE/AELE, d’Amérique du Sud ou d’Afrique sont en majorité scolarisés dans des écoles publiques, alors que les écoles internationales ou privées concernent principalement les enfants originaires de l’Amérique du Nord ou d’Asie (écoles internationales 26% et écoles privées 14% contre respectivement 4% et 8% pour les enfants d’autres origines). Cela pourrait s’expliquer en partie par le fait que certains parents souhaitent scolariser leurs enfants dans leur langue d’origine.

Au total, la moitié des répondant∙e∙s ont connu des difficultés pour la garde de leurs enfants

Les parents arrivant en Suisse avec un∙e enfant sont confrontés dès leur arrivée à la recherche de solutions de garde ou de scolarisation. A ce propos, près de la moitié des parent·e·s disent n’avoir rencontré aucune difficulté à effectuer ces démarches. L’autre moitié a connu des difficultés, dont 9% ont eu beaucoup de difficultés. Ce sont surtout les femmes qui déclarent de la difficulté (près de 60% d’entre elles, contre 40% pour les hommes).

Les difficultés rencontrées sont multiples, on peut prendre l’exemple de l’incompréhension de la langue locale. Les parentes qui comprennent très mal ou pas du tout la langue locale ont rencontré le plus de difficultés pour scolariser leurs enfants. Cependant ce n’est pas la seule explication possible, le manque de places en crèche étant souvent relevé en Suisse (Adema et Thévenon, 2004).

La nécessité d’une réflexion plus large sur la place des familles immigrées dans la société suisse

L’immigration et l’intégration des étrangers suscitent des débats importants en Suisse depuis plusieurs décennies. Les données de l’enquête MMS montrent différents défis auxquels les femmes étrangères sont confrontées. Or le succès de leur intégration et de celle de leurs enfants revêt une importance capitale pour leur permettre de s’épanouir dans la société suisse en tant que femmes et mères. Enfin, une intégration réussie présente de nombreux avantages, tant pour ces femmes que pour la société dans son ensemble en favorisant la diversité et le développement socio-économique. Pour cette raison, il convient d’être attentif aux spécificités familiales des populations migrantes.

Manon Trémouille est étudiante au double baccalauréat en statistiques et en démographie à l’Université de Montréal. Elle s’intéresse particulièrement aux études sur les migrations.

Bibliographie:

-Adema, W., et O. Thévenon. 2004. « Bébés et employeurs : La Suisse face aux autres pays de l’OCDE », La vie économique – Revue de politique économique, novembre : 7-8.
-Becker, G. S. 1981. A treatise on Family. London: Harward University Press.
-Gerber, R., et M. Burkimsher. 2023. « Familles migrantes : différences de calendrier et défis pour concilier travail et famille ». Dans C. Rossier, L. Bernardi et C. Sauvain-Dugerdil, Diversité des familles et bien-être en Suisse, Enquêtes sur les familles et les générations 2013 et 2018. Zurich et Genève : Editions Seismo.
-Hank, K., et M. Kreyenfeld. 2003. « A Multilevel Analysis of Child-Care and Women’s Fertility Decisions in Western Germany », Journal of Marriage and Family, 65, 3 : 584-596.

 

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