Des magiciens au parlement
Ainsi donc il a suffi de quelques heures de débats – certes féroces – pour que le Conseil national fasse passer la météo migratoire d’un ciel résolument bouché depuis 2 ans et demi à une riante éclaircie : la mise en place d’une préférence nationale légère serait – il suffisait d’y penser – une réponse au 9 février assez indolore pour ne pas froisser Bruxelles et pour rallier une majorité derrière une loi de (non-)application au goût de l’économie.
En comparaison du discours des autorités dans l’immédiat après 9 février 2014 le retournement est spectaculaire : on jurait à l’époque avec la mine sombre qu’en aucun cas le nouvel article constitutionnel 121a ne permettait la moindre marge de manœuvre interprétative et ceux qui – comme la juriste Astrid Epiney – prônaient une application souple étaient bien peu écoutés.
Tout semble avoir changé par la magie des alliances parlementaires et d’un peu d’imagination.
On peut et on doit évidemment se réjouir de voir le parlement prendre ses responsabilités et ne pas remettre en place des quotas “vieux style”. J’avais moi-même suggéré que la mise en place d’un contingent global suffisamment généreux pouvait contenter Bruxelles tout en respectant la Constitution. Mais il faut reconnaître que le parlement a, pour le coup, été un peu loin en se passant d’énoncer le moindre objectif de maîtrise de l’immigration un tant soit peu concret.
- En premier lieu le grand-écart constitutionnel va bien au-delà de la fameuse non-application de l’Initiative des Alpes et constituerait un précèdent historique fâcheux.
- En second lieu il faut être clair: la préférence nationale light est à ranger dans la même catégorie de mesure symboliques que les initiatives visant à mieux exploiter le potentiel indigène lancée en 2011 et qui n’avaient pas permis d’éviter le 9 février 2014 ou les incantations à la modération dans l’embauche d’étrangers censées contrer les initiatives Schwarzenbach des années septante. La tentation d’engager à l’étranger à moindre coût et à meilleure qualification restera très forte et fera bondir l’immigration à la moindre reprise conjoncturelle.
- En troisième lieu, la non-application du plafonnement constitutionnel de l’immigration ne pourra se faire sans qu’un référendum UDC n’ait de chance de succès que si la tendance actuelle au déclin du solde migratoire se poursuit. Le pays se prend donc en otage d’évolutions conjoncturelles qu’il ne maîtrise pas. L’évolution très incertaine de la crise migratoire pourrait à cet égard contaminer fâcheusement le débat sur la libre-circulation si les demandes d’asile augmentaient à nouveau fortement en Suisse. L’UDC jouerait alors sur du velours en invoquant le non-respect de la Constitution.
On se demande donc si une solution constitutionnellement « propre » alliant un nouveau vote populaire – sur le modèle RASA, FORAUS ou contre-projet – impérativement flanquée de solides garanties de maîtrise eurocompatible de l’immigration telles que des mesures d’accompagnement musclées, une lutte farouche contre le dumping salarial et éventuellement une clause de sauvegarde négociée ne serait pas un meilleur projet à long terme. Le problème est que sur ce point une alliance parlementaire est beaucoup plus difficile à trouver.
Etienne Piguet
Chef de projet, nccr – on the move, Université de Neuchâtel
Compléments
Prof. Epiney (NZZ)
Prof. Grisel (Le Temps)
Prof. Boillet (Le Temps)
Point de vue de la CN G. Savary (Le Temps)
À l’origine, ce billet a été mis en ligne le 1 octobre 2016 sur le blog “Politique migratoire” de l’Hebdo.