Droit de vote et d’éligibilité des résident·e·s étranger·ère·s en Suisse : Le renforcement de la citoyenneté et de la démocratie
Les débats autour du droit de vote des résident·e·s étranger·ère·s en Suisse et ailleurs sont courants. Plusieurs pays, tels que la Nouvelle-Zélande, le Chili, la Belgique ou les Pays-Bas, accordent aux non-citoyen·ne·s le droit de vote local et souvent l’éligibilité. En Suisse, la forte présence de résident·e·s exclu·e·s des droits politiques rend la thématique particulièrement saillante. Le débat actuel au parlement bâlois et l’initiative populaire qui sera votée le 9 juin prochain à Genève remettent cette question au premier plan. En effet, l’extension des droits politiques découle du principe démocratique d’inclusion.
La question de la représentation politique des résident·e·s étranger·ère·s et de leurs droits comporte une forte ambition démocratique. Elle réside dans la volonté d’inclure politiquement une large catégorie de la population qui est exclue des droits politiques formels. Une telle idée est conforme à l’un des principes qui a contribué à la mise en place des institutions démocratiques, notamment le fameux « No taxation without representation », qui a été employé par les colons nord-américains contestant l’hégémonie britannique lors de la lutte d’indépendance aux Etats-Unis. Dans cette logique, avoir une voix et une représentation politique – donc la possibilité de participer à la définition des lois auxquelles on est soumis·e – est l’une des bases de la légitimité démocratique.
Dans les cas bâlois et genevois, la question concerne aussi une mise en cohérence des droits politiques offerts aux résident·e·s non-citoyen·ne·s. Il s’agit notamment de prévoir simultanément le droit de vote et le droit d’éligibilité au niveau cantonal. Bénéficier des droits politiques actifs et passifs permet aux résident·e·s étranger·ère·s à la fois l’expression d’une préférence politique (par le vote et l’élection), mais aussi la possibilité de faire partie (par l’élection) des instances politiques en charge de la gestion publique. Le fait d’être considéré·e apte uniquement à élire des nationaux, mais sans la possibilité de pouvoir se porter candidat·e ou alors de voter pour un·e candidat·e qui représente des intérêts analogues aux siens implique une asymétrie de pouvoir difficilement justifiable démocratiquement.
Comment justifier une telle extension des droits politiques ? Il y a deux ordres de justifications, l’un de nature substantielle et l’autre de nature instrumentale.
La justification substantielle : l’inclusion démocratique
Il est généralement admis que le droit de vote est une condition nécessaire de la démocratie. Dans le cas du droit de vote des étranger·ère·s, l’octroi de ce droit comporte un découplage entre citoyenneté et nationalité. Ce découplage permet d’inclure dans le demos (peuple) non seulement les citoyen·ne·s, mais aussi les individu·e·s résident·e·s sur le territoire, qui ne sont pas des nationaux·ales, mais qui contribuent, appartiennent, agissent et financent la société de manière analogue aux nationaux·ales.
En d’autres termes, cette disposition ne corrige pas seulement une injustice politique en matière de représentation, mais amène en plus une conception de l’inclusion démocratique fondée sur la résidence et la contribution sociale déployée au fil des années de résidence, et non pas sur la nationalité. Selon la conception libérale du principe d’inclusion démocratique, en effet, aussi bien les individu·e·s affecté·e·s par les décisions publiques que les individu·e·s soumis·es au pouvoir coercitif de l’Etat doivent pouvoir participer à la définition des décisions affectant leurs intérêts ou contraignant leur autonomie. Selon cette logique, l’extension du droit de vote et d’éligibilité aux résident·e·s étranger·ère·s est une condition morale nécessaire de la légitimité démocratique.
Cette exigence est vue par de nombreux·ses théoricien·ne·s de la démocratie comme prépondérante (sauf circonstances particulières) par rapport à des considérations d’appartenance nationale, de statut de citoyenneté ou encore de volonté de se naturaliser. Pour d’autres, et afin de réduire les injustices inhérentes à l’exclusion démocratique des résident·e·s étranger·ère·s, il est nécessaire de faciliter l’accès à la citoyenneté, qui devrait être acquise après un nombre minimal d’années de résidence.
La justification instrumentale : une conception de la citoyenneté propice à l’intégration sociale et politique
L’étendue des droits politiques sur la base de la résidence n’implique pas uniquement un changement du demos, mais aussi un élargissement des opportunités permises par cette conception. En d’autres termes, cet élargissement se justifie aussi en vertu des effets politiques positifs qu’il entraîne. Premièrement, le fait de disposer des droits politiques amène à pratiquer davantage la citoyenneté, donc s’informer, discuter davantage de sujets politiques et développer une plus grande confiance envers les institutions. En ce sens, les droits politiques peuvent entraîner une intégration politique plus effective et améliorer la qualité de la démocratie locale en diversifiant les perspectives et en renforçant la représentativité des institutions.
Deuxièmement, accorder le droit de vote et d’éligibilité aux résident·e·s étranger·ère·s dans les élections locales comporte une reconnaissance sociale et politique de leur présence. Ceci contribue à renforcer le sentiment d’inclusion, de respect et d’égalité avec les citoyen·ne·s, avec une reconnaissance institutionnelle de leur contribution économique et sociale à la vie locale.
En conclusion, l’extension des droits politiques aux résident·e·s étranger·ère·s n’est pas une question de charité ou de politesse à leur égard, mais une démarche dictée par la considération du principe démocratique d’inclusion. De plus, elle entraîne plusieurs conséquences positives. Ces dernières élargissent la démocratie par un traitement plus juste et respectueux des toutes les personnes qui, appartenant à la même société, participent à son développement et au maintien des institutions démocratiques.
Matteo Gianni est professeur ordinaire au Département de science politique et relations internationales et il co-dirige le projet « Narratives of Crisis and Their Influence in Shaping Discourses and Policies of Migration and Mobility » au sein du nccr – on the move.
Références:
-Bauder, Harald (2014). “Domicile citizenship, human mobility and territoriality”, Progress in Human Geography, 38, 1: 91-106.
-Dahl, Robert (1989). Democracy and its critics. New Haven: Yale University Press.
-Carens, Joseph (2013). The Ethics of Migration. New York: Oxford University Press.
-Gianni, Matteo. (2017), The Migration-Mobility Nexus: Rethinking Citizenship and Integration as Processes. In: Anna Triandafyllidou (Ed.). Multicultural Governance in a Mobile World. Edinburgh: Edinburgh University Press, pp. 205-224
-Sager, Alex (2018). Toward a Cosmopolitan Ethics of Mobility: The Migrant’s-Eye View of the World, Cham, Switzerland: Palgrave Macmillan.
-Song, Sarah (2009). “Democracy and noncitizen voting rights”. Citizenship Studies, 13, 6: 607-620.