Intégration et discrimination : quelles articulations ?

29.10.2019 , in ((Visible Minorities)) , ((No Comments))

La problématique de la discrimination raciale ne doit en aucun cas être confondue avec la question de l’intégration des migrant·e·s, en dépit du fait que la lutte contre la discrimination raciale et les actions en faveur de l’intégration ne sont pas toujours dissociables et ont tendance à s’influencer mutuellement.

L’importance du phénomène de la discrimination raciale apparaît de plus en plus évidente au travers des analyses et témoignages apportés par divers protagonistes. Ces actes ne concernent pas uniquement le domaine privé. C’est une question de devoir institutionnel de protection de la dignité humaine, d’ordre public.

Les résultats d’une série d’études montrent qu’en raison notamment de l’appartenance raciale ou nationale les migrant·e·s ont parfois plus de problèmes à trouver, par exemple, un emploi et un logement, ou encore une place d’apprentissage.

Les pratiques d’exclusion ne touchent pas de la même manière l’ensemble des populations issues de la migration ; certains membres et/ou communautés peuvent donc davantage que d’autres être confrontés à une telle problématique. Ces constats sont prouvés en outre par les statistiques et les rapports de monitoring documentés notamment par les services qui coordonnent les centres de consultation pour les victimes.

Les actes discriminatoires, qui sont des pratiques d’exclusion qui prennent comme prétexte le critère racial ou ethnique, sont bien entendu inadmissibles autant sur le plan moral que juridique. Ces actes interrogent également les fondements et les principes suisses de l’intégration ; ils constituent un obstacle important aux possibilités d’intégration des migrant·e·s, causant ainsi une entrave à la coexistence et à la cohésion sociale.

Pour qu’une véritable politique de prévention des actes discriminatoires dans la société soit établie, tous les acteurs de la société, et surtout les institutions, ainsi que les politiques étatiques doivent être prêts à renforcer leurs efforts et leur engagement concret en la matière. Les lois seules ont peu d’effet et ne suffisent pas. Les expériences pratiques montrent aussi clairement l’insuffisance de l’arsenal juridique.

Il faut intensifier les actions et trouver des solutions plus efficaces pour favoriser la prévention et la lutte contre ce fléau. Le renforcement let l’élargissement des activités des services d’aide aux victimes et de conseil en cas de conflits peuvent donner une nouvelle impulsion aux objectifs fixés par une politique antidiscriminatoire.

Articulation entre intégration et prévention de la discrimination

Les tendances actuelles montrent que les actions visant la prévention du racisme et de la discrimination raciale sont très souvent intégrées dans les prestations des services chargés de l’intégration des migrant·e·s. En raison de leurs caractéristiques distinctes et singulières, il semble néanmoins judicieux de pencher en faveur d’une démarcation claire entre les prestations visant la promotion de l’intégration des migrant·e·s et les actions en matière de prévention du racisme.

Deux arguments peuvent être avancés à l’appui de cette thèse. En premier lieu, il est opportun de rappeler que le racisme est un fléau qui n’épargne aucune catégorie sociale ; l’idée selon laquelle les migrant·e·s sont les principales victimes d’actes à caractère raciste est totalement erronée. En effet, qu’elles soient migrant·e·s ou Suisse·esse·s, des personnes d’origines très diverses peuvent être victimes ou auteur·ice·s potentiel·le·s. En deuxième lieu, l’intégration réussie n’est pas toujours synonyme de mise à l’abri des migrant·e·s face aux pratiques discriminatoires ; les migrant·e·s parfaitement intégré·e·s, sont eux et elles aussi parfois exposé·e·s, au racisme et à la discrimination. Ni une intégration réussie ni le passeport suisse ne préservent du racisme.

Articulation entre les différentes formes de discrimination

Une analyse pluridimensionnelle du phénomène discriminatoire conduit au constat que la discrimination raciale comporte des similitudes avec les autres formes de discrimination. Les quelques spécificités qui distinguent les différentes formes ne sont pas susceptibles de représenter un facteur déterminant pour opter pour une différenciation excessive entre elles.

Il a été observé à de multiples reprises que l’expression des « rivalités » entre les différents types de discrimination est susceptible de nuire aux intérêts d’une politique antidiscriminatoire plus uniforme et plus efficace. Par exemple, il y a parfois des tendances dans notre société selon lesquelles il est estimé que la discrimination fondée sur l’origine est plus grave que celle fondée sur le genre, et vice-versa.

Prétendre inconditionnellement que tel ou tel domaine de discrimination est plus touché que les autres, tout en minimisant aussi la gravité des conséquences des autres formes de discrimination, conduirait à des effets qui ne conviendraient pas aux résultats escomptés et aux principes d’une stratégie globale et cohérente de lutte contre la discrimination.

Le phénomène de discrimination multiple, lui aussi, renforce davantage cette thèse. Il n’est en effet pas rare que l’acte discriminatoire représente une combinaison de divers facteurs de discrimination chez une même personne et qu’il soit fondé parallèlement sur plusieurs caractéristiques comme le sexe, le statut social, la couleur de peau, la religion ou le handicap.

La mise en commun de certaines actions et stratégies peut donc apporter une réponse plus englobante et plus efficace dans la prévention et la lutte contre toutes les formes de discrimination. À cet effet, il s’avère opportun de mettre un accent particulier sur l’organisation d’événements sur-mesure, tels que des congrès scientifiques, des conférences et des séminaires orientés vers la poursuite d’objectifs communs.

Lirim Begzati est juriste, spécialiste en migration et ancien chargé cantonal de lutte contre le racisme dans le canton de Neuchâtel.

Références:

– Auer, Daniel et al. (2019). Ethnische Diskriminierung auf dem Schweizer Wohnungsmarkt. Grenchen: Bundesamt für Wohnungswesen.
– Imdorf, Christian (2010). Die Diskriminierung “ausländischer” Jugendlicher bei der Lehrlingsauswahl, in Hormel, Ulrike and Albert Scherr (Eds.), Diskriminierung. Springer: 197-219.
– Zschirnt, Eva and Fibbi, Rosita (2019). Do Swiss Citizens of Immigrant Origin Face Hiring Discrimination in the Labour Market? nccr – on the move Working Paper #20 (February 2019).

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