La participation électorale des résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s
L’un des principes des démocraties modernes est que la population peut participer à la prise de décision par le biais d’élections. Dans nombre de villes et régions, le droit de vote sur le plan local a été étendu aux résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s dans le but de renforcer la légitimité de la démocratie représentative et favoriser l’incorporation politique d’une population étrangère dont le poids démographique est croissant. Dans quelle mesure ces nouveaux⸱elles électeur⸱rice⸱s font usage de cette opportunité ? Les déterminants de leur participation diffèrent-ils de ceux des nationaux⸱ales ?
Un taux de participation inférieur à celui des nationaux⸱ales
Diverses études portant sur le canton de Genève fournissent des réponses à ces interrogations. Ce canton, qui compte 40% d’étranger⸱ère⸱s parmi ses résident⸱e⸱s, a introduit en 2005 le droit de vote actif au niveau communal pour les étranger⸱ère⸱s résidant en Suisse depuis 8 ans : depuis lors, diverses études ont permis de monitorer systématiquement la question de leur participation électorale.
Le taux de participation moyen au cours des élections communales qui se sont déroulées entre 2007 et 2015 est stable tant pour les électeurs⸱trices suisses (moyenne autour de 41%) que pour les électeurs⸱trices étranger⸱ère⸱s (moyenne autour de 26%). Les taux de participation aux dernières élections communales de 2020 sont respectivement de 40% et 23%. Parmi les étranger⸱ère⸱s, les femmes participent légèrement plus que les hommes, à l’inverse des Suisses. La participation des électeurs⸱trices suisses est traditionnellement plus forte dans les « petites » communes de la périphérie du canton que dans les « grandes » communes ; tel est aussi le cas pour les étranger⸱ère⸱s.
La différence de participation entre nationaux⸱ales et étranger⸱ère⸱s ne constitue guère une spécificité genevoise : un écart significatif est observé aussi bien dans les autres cantons suisses que dans les pays européens ayant accordé le droit de vote sur le plan local aux résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s.
Les déterminants de la participation électorale
Qu’est-ce qui pousse les électeurs⸱trices à se rendre aux urnes ? Faisant abstraction des influences politiques, institutionnelles et historiques significatives pour le taux de participation, la réponse doit être cherchée en premier lieu dans les caractéristiques individuelles des électeurs⸱trices.
Il résulte ainsi que la participation électorale augmente avec l’âge. De plus, les personnes ayant un emploi, ainsi qu’un revenu et un statut socio-économique élevés sont susceptibles de disposer d’un plus large éventail de ressources, telles que le temps, l’argent ainsi que la formation et les compétences : elles sont donc plus enclines à voter. Les connaissances politiques et la participation associative jouent également un rôle important. En raison de leurs réseaux sociaux plus vastes et leur exposition aux médias, les personnes au statut socio-economique élevé ont facilement accès à des informations sur les partis politiques, les candidat⸱e⸱s et le processus électoral : ces personnes sont aussi la cible des efforts de mobilisation de la part des partis politiques.
Comment expliquer la participation électorale des
étranger⸱ère⸱s ?
Est-ce que les facteurs qui influencent la décision de participer chez les nationaux⸱ales déterminent également le comportement des résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s ? Les résultats des études menées à Genève sont particulièrement pertinents pour notre propos. La relation entre la participation électorale et les caractéristiques individuelles des électeurs⸱trices a été étudiée sur un échantillon des résident⸱e⸱s qui avaient le droit de vote au premier tour des élections communales d’avril 2015 à Genève.
L’âge, le niveau de formation et le revenu résultent comme les facteurs principaux qui expliquent le décalage observé entre électeurs⸱trices suisses et étranger⸱ère⸱s. En d’autres termes, la participation électorale des collectivités étrangères est plus faible dans la mesure où elles diffèrent notamment sur ces variables de la majorité suisse. Les personnes étrangères présentent en effet une moyenne d’âge, de formation et de revenus inférieure à celle des nationaux⸱ales.
En revanche, le lieu de naissance n’a guère d’impact sur la participation électorale. Le comportement des personnes nées à l’étranger et celles nées en Suisse est semblable, qu’elles aient acquis la nationalité suisse ou non : les descendant⸱e⸱s de personnes immigrées fréquentent les urnes autant que leurs ascendant⸱e⸱s immigré⸱e⸱s. Par contre, la naturalisation augmente sensiblement la participation électorale : à parité d’âge et de formation, le comportement de vote des personnes naturalisées (toutes origines confondues) est semblable à celui des personnes suisses dès leur naissance.
Le taux de participation électorale des étranger⸱ère⸱s est aussi plus élevé dans les communes où les Suisses votent plus. Or, les caractéristiques socio-économiques des habitant⸱e⸱s suisses et étranger⸱ère⸱s dans une même commune tendent à être similaires et, c’est bien connu, les communes diffèrent sensiblement les unes des autres sur ce point.
Pourquoi certaines collectivités votent moins que les autres ?
La participation électorale des étranger⸱ère⸱s diffère d’une collectivité à l’autre, à cause de la composition sociale spécifique à chaque collectivité. Si cela constitue la principale explication, d’autres facteurs contribuent à rendre compte des écarts du taux de participation entre les collectivités.
L’expérience politique au pays d’origine a son importance, selon des études européennes. Le fait d’être né⸱e dans un pays démocratique augmente la participation des électeurs⸱trices né⸱e⸱s à l’étranger: ils⸱elles sont familiarisé⸱e⸱s avec le processus électoral et plus confiant⸱e⸱s envers les institutions démocratiques.
L’expérience sociale dans le pays d’immigration joue, bien évidemment, un rôle déterminant. Une récente étude menée à Genève et Neuchâtel montre que le phénomène d’auto-exclusion des électeurs⸱trices potentiel⸱le⸱s est élevé dans des collectivités où le sentiment est répandu de faire l’objet de déconsidération en fonction de la position sociale, ou d’être la cible de discrimination insidieuse, et de n’avoir que peu de marge de manœuvre. Dans ces collectivités, on relève aussi la difficulté de trouver un relais politique dans les partis ; les membres de ces collectivités investissent dès lors plutôt le monde syndical qui se montre plus proche de leurs préoccupations.
En somme, les facteurs qui déterminent la participation électorale des nationaux⸱ales et des étranger⸱ère⸱s sont largement semblables. En d’autres termes, les écarts dans la participation électorale des étranger⸱ère⸱s sont en premier lieu le résultat des différences dans les caractéristiques et conditions sociales des collectivités étrangères par rapport à celles des nationaux⸱ales. De plus, la participation des étranger⸱ère⸱s est influencée par les expériences de la vie politique au pays d’origine et par les ressentis que les personnes étrangères ont de leurs conditions de vie dans le pays de résidence.
Rosita Fibbi, sociologue des migrations, est chercheuse associée au nccr – on the move; Didier Ruedin est maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Neuchâtel et chef de projet au nccr – on the move.
Références:
André, Stéfanie, Jaap Dronkers, et Ariana Need. 2014. “To vote or not to vote? A macro perspective. Electoral participation by immigrants from different countries of origin in 24 European countries of destination.” Research on Finnish Society 7 (1):7-20.
Bevelander, Pieter. 2015. “Voting Participation of Immigrants in Sweden—a Cohort Analysis of the 2002, 2006 and 2010 Elections.” Journal of International Migration and Integration 16 (1):61-80.
De Faveri, Paolo. 2016. “La participation des étrangers aux élections communales de 2007 à 2015.” Communications statistiques OCSTAT 52: 1-16.
Fibbi, Rosita, et Didier Ruedin. 2016. La participation des résidents étrangers aux élections municipales d’avril 2015 à Genève. Genève et Neuchâtel: Bureau de l’intégration des étrangers (DSE-OCPM) et Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM), Université de Neuchâtel
Fibbi, Rosita, Leonie Mugglin, Andrea Bregoli, Lisa Iannello, Philippe Wanner, Didier Ruedin, Denise Efionayi-Mäder, et Marta Marques. 2023. « Que des locataires ! » Analyse de la participation politique des résident·e·s espagnols et portugais à Genève et à Neuchâtel.Etudes du SFM 83. Neuchâtel et Genève: Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population, Bureau de l’intégration et de la citoyenneté.
Sciarini, Pascal, et Simon Maye. 2020. La participation des étrangers et étrangères aux élections communales dans le canton de Genève. Genève: Bureau d’intégration des étrangers/Université de Genève.