Le Brexit signifie-t-il la fin du Royaume-Uni ?
Le 23 juin prochain, les citoyens britanniques se prononceront sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. Si les Britanniques quittaient l’UE, d’importantes conséquences pourraient survenir dans les nations constitutives du Royaume-Uni – entre craintes d’un embrasement des relations entre les communautés au Nord de l’Irlande et référendum d’indépendance écossais remis à l’agenda politique.
Si les milieux académiques (voir notamment le rapport de John Springfold) se sont massivement penchés sur les conséquences – jugées économiquement plutôt néfastes – d’un Brexit, celui-ci est pourtant plus que jamais d’actualité. De récents sondages de l’institut YouGov donnent même cette option devant celle du Bremain [1].
Ce que mettrait avant tout en lumière le vote du 23 juin, c’est la démographie britannique. Sur les 65 millions de citoyens du Royaume-Uni, 55 millions vivent en Angleterre. Or l’option sécessionniste ne séduit pas autant à Londres, qu’à Edinbourg, Belfast et Cardiff.
L’Ecosse vers l’indépendance ?
En premier lieu, une sortie de l’UE serait vécue comme un drame en Ecosse, où la population est fondamentalement europhile. Au-delà d’une (nouvelle) contrariété politique entre Edinbourg et Londres, un Brexit remettrait à l’ordre du jour l’option référendaire écossaise. Organisé en septembre 2014, un scrutin sur l’indépendance de l’Ecosse avait été refusé à 55,4%, non sans avoir créé beaucoup d’émotion et vu le camp indépendantiste en tête à une semaine du vote. Ce résultat a toutefois laissé un goût d’inachevé à Edinbourg. Les promesses faites par Londres et David Cameron n’ont pas été tenues et le Scottish National Party (SNP), la principale formation indépendantiste, qui a mené seule la campagne de 2014, s’est vu gratifier en 2016 d’une nouvelle victoire électorale et ce, en plein débat sur le Brexit.
Mieux encore pour le SNP et pour sa frange qui craindrait une nouvelle défaite et la fin de l’option indépendantiste, les sondages donnent les Ecossais très favorables à un maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne et même un appui majoritaire à l’indépendance écossais, si d’aventure les Britanniques décidaient de sortir de l’UE. Avec un large soutient populaire et au cœur d’une crise britto-européenne et anglo-écossaise, le SNP aurait alors tout le loisir d’organiser un nouveau scrutin d’indépendance et cette fois-ci de le remporter.
Une option plus improbable dans l’immédiat au Pays de Galles, où l’indépendance n’a jamais vraiment été à l’agenda politique. Toutefois, les élections qui ont eu lieu viennent de donner une victoire massive à toutes les formations europhiles. Le parti indépendantiste – Plaid Cymru – forme désormais un gouvernement avec le Labour et réitère les appels à ne pas quitter l’Union européenne. Le Pays de Galles a largement profité des fonds européens et les Gallois craignent une augmentation des inégalités régionales. Même si la crise politique ne serait vraisemblablement pas aussi violente qu’en Ecosse, un Brexit et surtout l’attitude des Ecossais et des Irlandais face à celui-ci conditionnerait l’avenir du Pays de Galles.
Quid du Nord de l’Irlande ?
Où l’on craint peut-être le plus une sortie britannique de l’UE, c’est en Ulster. L’Accord de Vendredi-Saint 1998, qui a mis fin au conflit entre communautés catholique [2] et protestante, pourrait être remis en question. D’un point de vue économique tout d’abord, l’Irlande du Nord ne peut se passer de l’UE. Sa « frontière » d’avec la République d’Irlande en fait d’elle la seule région britannique qui a un lien territorial avec l’Europe. Déjà à la traîne face à sa sœur méridionale, l’Ulster risquerait gros en termes de concurrence, lui qui est davantage englobé dans un marche économique irlandais – et donc européen – que britannique.
Politiquement ensuite, un Brexit serait une catastrophe. Les 18 ans de processus de paix intercommunautaire, qui commence à porter ses fruits, a été largement arrosé par les fonds de Bruxelles, qui s’est mué en acteur incontournable de la paix irlandaise. Désintéressé par les milliers de programmes de normalisation des relations entre catholiques et protestants qui ont cours sur sol d’Ulster, Londres n’en financerait pas autant et Belfast ne pourrait se les offrir. Or, les crèches et écoles mixtes, la création de quartiers mixtes, les sports collectifs et échanges intercommunautaires, le financement d’une culture diversifiée, les programmes de lutte contre le chômage et la paupérisation, la lutte contre le racisme et les dérives sectaires, etc. sont tous des projets qui, interrompus, risqueraient de remettre en cause la paix glaciale et très fragile qui unit les deux populations d’Irlande du Nord
En plus de créer à moyen-terme un terreau fertile au retour du sectarisme et de la ségrégation confessionnelle, un Brexit créerait dans l’immédiat une énorme crise politique à Stormont, le siège du gouvernement bicommunautaire nord-irlandais. En effet, le Sinn Féin [3], qui souhaite toujours unifier l’Irlande est totalement opposé à un Brexit. De son côté, le Democratic Unionist Party [4] y est favorable. De manière générale, la population est plutôt favorable au statu quo, mais de manière très différente : selon les sondages, la communauté républicaine soutiendrait à près de 90% l’option du maintien alors que la communauté unioniste serait contre (30% d’opinions favorables).
En l’absence du principale médiateur qu’est l’Europe, avec le risque que les investissements désertent l’Irlande du Nord et en présence d’une nouvelle crise politique annoncée entre les deux principales formations politiques (et donc entre les communautés qu’elles représentent), les tensions seraient plus que palpables. Surtout qu’un Brexit marquerait le retour d’une frontière physique sur l’île émeraude.
Depuis l’accord de 1998, la communauté catholique a été la grande gagnante de la stabilité politique, des investissements et de la méditation européenne. En l’absence de cette protection et face au risque important de dérives sectaires, la volonté des catholiques de se rapprocher de la République d’Irlande pourrait devenir encore plus marquée. Le Sinn Féin parlerait alors de manière décomplexée de scrutin démocratique sur la réunification irlandaise. Mais nul ne peut nier qu’un retour sur le premier plan des milices armées (toujours existantes) pourrait être d’actualité dans un tel contexte.
Entre l’Irlande du Nord qui pourrait revivre des Troubles et l’Ecosse (suivie peut-être un jour par le Pays de Galles) qui remettrait immédiatement à l’agenda politique un référendum d’indépendance, un Brexit aurait de lourdes conséquences. Mais nul besoin de faire preuve d’alarmisme, il s’agit peut-être de l’avenir naturel des îles britanniques : mettre fin à l’empire et retrouver des nations souveraines et indépendantes. Les Anglais seraient ainsi les premiers, même inconsciemment, à aller dans ce sens en votant en faveur d’un Brexit le 23 juin.
Valentin Zuber
Doctorant, nccr – on the move, Université de Neuchâtel
Pour en savoir plus, je vous conseille la présentation suivante qui se tiendra à la conférence annuelle du « nccr – on the move » le jeudi 23 juin 2016 à Neuchâtel : « European Migration and Mobility Regimes Reviewed in the Light of the UK Brexit Referendum », de la part de Jo Shaw de l’Institute for Advanced Studies in the Humanities de l’Université d’Edinbourg.
[1] Note de l’auteur : mêmes aux heures graves de leur Histoire, les Britanniques savent faire preuve de flegme et d’humour
[2] Pour une question de simplification, on parle dans cet article des marqueurs confessionnels – catholique et protestant – pour distinguer les communautés en conflit. Il serait tout aussi possible de parler des communautés d’un point de vue socio-politique : républicains / nationalistes et loyalistes / unionistes.
[3] Ancienne aile politique de l’Armée républicaine irlandaise, le Sinn Féin, parti de tendance socialiste et républicaine, est la principale formation politique de la communauté catholique et compose la moitié des sièges du gouvernement.
[4] Le Democratic Unionist Party (DUP) est le principal parti de la communauté protestante d’Irlande du Nord. Situé très à droite sur l’échiquier politique et proche des milieux chrétiens conservateurs, il est l’héritage politique du pasteur Ian Paisley.