Le soutien aux ultra-précaires pendant la crise du Covid-19
Si la crise du Covid-19 a affecté l’ensemble de la population, elle a particulièrement touché les personnes qui vivent dans la précarité. Comment faire pour poursuivre le soutien aux plus démuni·e·s et éviter que la crise ne vienne accentuer les inégalités sociales préexistantes ? Le combat contre la propagation du virus ne passe-t-il pas aussi par une lutte pour protéger les personnes qui vivent dans la rue et qui sont particulièrement exposées au virus ?
La crise du Covid-19 a visibilisé la pauvreté et questionné la capacité de nos sociétés à gérer cette situation exceptionnelle tout en continuant à venir en aide aux plus précaires. Les mesures édictées par les autorités fédérales ne sont pas applicables de la même manière pour toutes et tous et ce rapport différencié aux mesures risque d’avoir engendré de nouvelles disparités sociales. Pour pouvoir limiter au mieux l’impact de l’accroissement des inégalités, les structures d’aide ont dû s’adapter à la situation. À Genève, les autorités ont décidé de restructurer les dispositifs pour respecter les normes sanitaires, notamment en regroupant un maximum de personnes dans des lieux plus spacieux que les structures habituelles (Le Temps). Certains dispositifs plus petits ont toutefois continué à fonctionner, ce qui a nécessité d’adapter leurs activités. Comment ces structures ont-elles traversé la crise ? Ont-elles fait face à un accroissement et/ou à une diversification des demandes d’aide ?
Carrefour-Rue
Pour poursuivre son action, Carrefour-Rue, une fondation privée dont le but est de venir en aide aux personnes démunies ou sans logement, a dû réduire de moitié le nombre de places d’hébergement de son foyer afin de respecter les normes hygiéniques. Des solutions de relogement ont été trouvées pour les personnes ne pouvant plus être hébergées sur place. Quant aux repas, ordinairement distribués à l’intérieur d’un bâtiment, ils ont été distribués à l’emporter. Comme l’explique Yann Aebersold, travailleur social, la poursuite de cette action a nécessité que de nouveaux protocoles sanitaires soient respectés, ce qui a entraîné des coûts supplémentaires. Paradoxe de la situation : le nombre de repas distribués a nettement augmenté pendant la crise. Si les sources de financement sont restées stables, le travail a par contre augmenté et les ressources humaines ont diminué. En effet, une part importante des bénévoles entrant dans la catégorie des individus à risque, ils/elles n’ont plus pu intervenir sur le terrain.
Le Caré
Le Caré est une association d’accueil pour personnes en situation précaire, incluant une part importante de personnes sans statut de séjour stable. L’association a fait face à des défis similaires avec un nombre de bénévoles restreint et des demandes de repas, servis à l’emporter durant la crise, en augmentation. La limitation du nombre de bénéficiaires présent·e·s en même temps sur le site a toutefois permis de concentrer les efforts. Selon Amir Kellou, travailleur social, Le Caré a pour spécificité d’avoir été une des seules associations à avoir pu maintenir la quasi-totalité de ses prestations et activités depuis le début de la crise. Pour y parvenir, il a fallu limiter le nombre de personnes pouvant accéder en même temps à la structure. Amir Kellou explique que si, pendant les premiers temps, le focus était placé sur la nécessité de pouvoir fournir douches et repas, il a ensuite été possible de dépasser ce stade et de ne pas oublier la dimension de l’écoute et du partage. Selon lui, le fait de ne pas avoir négligé ces moments d’échange a permis de mener un travail de sensibilisation à la crise, ce qui est essentiel.
Dans le cas de ces deux associations, le nombre de demandes d’aide a augmenté durant la période de mi-mars à mi-mai. Yann Aebersold s’inquiète du fait que les dispositifs existants sont saturés et se demande ce qu’il est advenu des gens qui n’ont pas trouvé de place de logement. Les gens vivant dans une grande précarité, en particulier ceux qui n’ont pas de logement, ont été très exposés au risque d’être contaminés par le virus (RTS). On peut supposer que certaines personnes vivant dans l’invisibilité, notamment par peur d’un renvoi lié à leur statut de séjour, n‘ont pas eu recours aux services médico-sociaux en cas de maladie. Les efforts de protection de ces populations précaires sont nécessaires, par respect pour leur dignité, mais également pour limiter la propagation du virus comme on l’a constaté dans d’autres contextes (Al Jazeera).
La crise du Covid-19 a accentué et visibilisé la précarité à Genève
La situation de crise a amené une précarisation intense de certaines couches de la société (ILO), en particulier les travailleurs·euses sans-papiers qui n’ont pas eu accès aux prestations du chômage (Le Temps). Il semble qu’une part importante de celles et ceux qui évoluaient jusque-là dans l’invisibilité a été contrainte de faire appel aux services d’aide, comme en témoignent notamment les files d’attente pour les distributions de nourriture organisées à la patinoire des Vernets (Le Temps). Cela est corrélé par les témoignages de travailleurs·euses sociaux·ales qui donnent à penser que des profils nouveaux ont fait appel à leurs services, notamment des familles de travailleurs·euses sans-papiers qui n’avaient pas assez pour se nourrir. La crise a provoqué une visibilisation de réalités souterraines de nos sociétés (Voirol, 2005 ; Mastrangelo, 2019a, 2019b), notamment la présence d’un nombre considérable de sans-papiers qui vivent dans des conditions de grande précarité à Genève, ville dont on a encore trop souvent tendance à croire qu’elle ne comprend que la réalité des grandes organisations internationales et du monde de la finance. La crise remettra-t-elle en question certaines formes de solidarité (Piccoli & Dzankic 2020) et accentuera-t-elle la suspicion envers les migrant·e s (Vertovec 2020) ? Ou provoquera-t-elle une prise de conscience collective de l’existence de réalités invisibles qui contribuent à faire fonctionner nos sociétés ?
Simon Mastrangelo travaille au Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) en tant que postdoctorant (SNF Project “An Improbable Commitment? Explaining the Political Engagement of Naturalized Citizens for the Swiss People’s Party” dirigé par Prof. Gianni D’Amato). Il est également coordinateur scientifique du centre de compétences Territoire, diversité et migration (HES-SO Valais).
Références:
– Al-Jazeera (06.05.2020). Most of Singapore’s 20,000 coronavirus cases are migrant workers.
– International Labour Organization (ILO) (30.03.2020). COVID-19 cruelly highlights inequalities and threatens to deepen them.
– Le Temps (18.03.2020). Coronavirus: Genève s’active pour protéger les sans-abri.
– Le Temps (22.04.2020). La fragilité des sans-papiers accentuée par la crise sanitaire.
– Le Temps (03.05.2020). A Genève, des heures d’attente pour un sac de nourriture.
– Mastrangelo, Simon (2019a). Émigrer en quête de dignité. Tunisiens entre désillusions et espoirs. Tours : Presses universitaires François-Rabelais.
– Mastrangelo, Simon (2019b). Un sans-papiers à la mosquée. Se rendre visible quand on est invisible ailleurs. In : Salzbrunn, Monika (éd.), L’islam (in)visible en ville, Genève, Labor et Fides, 163-181.
– Piccoli, Lorenzo and Dzankic, Jelena (2020). How COVID-19 Is Altering Our Conception of Citizenship.” nccr – on the move blog (19.03.2020)
– RTS (12.05.2020). Les Genevois les plus pauvres sont quatre fois plus exposés au Covid-19.
– Vertovec, Steven (2020). Covid-19 and enduring stigma. The corona pandemic increases xenophobia and exclusion worldwide (27.04.2020).
– Voirol, Olivier (2005). « Visibilité et invisibilité » : une introduction, Réseaux 129-130, 9-36.
LE SOUTIEN AUX ULTRA-PRÉCAIRES PENDANT LA CRISE DU COVID-19 - Alumni HETS 22.01.2021
[…] Intitulé “Le soutien aux ultra-précaires pendant la crise du Covid-19”, son article est à lire ici. […]