Le vote sur la naturalisation facilitée est en réalité un vote sur la nature démocratique de la Suisse
Les citoyens et citoyennes suisses vont se prononcer le 12 février sur une modification constitutionnelle concernant « la naturalisation facilitée des étrangers de la troisième génération ». Le 12 février s’approche et les arguments politiques pour et contre s’affirment. Cet article met en lumière l’importance de la légitimité démocratique nécessitant la participation de celles et ceux qui contribuent à la formulation de la loi. Vu qu’il y a un groupe important de personnes « étrangères », qui manquent de certains droits politiques, faciliter leur naturalisation renforcera la démocratie en Suisse.
La philosophie politique normative offre non seulement une boîte à outils pertinente pour aborder les présupposés normatifs des arguments politiques, mais elle questionne aussi la possibilité d’une meilleure gouvernance, caractérisée par une plus grande légitimité éthique aux yeux des personnes concernées. A la suite du célèbre normativiste contemporain John Rawls, elle mène un débat qui aspire à une utopie réaliste. Mobiliser l’analyse normative permet d’offrir un éclairage sur les présupposés normatifs au sujet de l’immigration que véhiculent cette votation et le système de démocratie directe. Cette approche permet aussi d’enrichir le débat public en révélant le champ de bataille normatif qui reste souvent invisible dans les positionnements politiques.
La votation et la nationalité suisse
Avant de commencer il faut noter quelques points de base sur le sujet de votation d’une part et les modes de transmission de la nationalité suisse d’autre part. Les « étranger⋅ère⋅s» représentent un groupe très large et divers et ne font pas tou⋅te⋅s l’objet de cette votation: seules les personnes dont les grands-parents ont immigré en Suisse sont concernées. Les limites déterminant le groupe des personnes éligibles à la naturalisation facilitée sont composées des plusieurs éléments légaux.
La démocratie en Suisse
A première vue, on peut avoir l’impression que ce scrutin concerne le statut d’un groupe spécifique de personnes, « les étrangères et étrangers de la troisième génération », dont le destin est déterminé par les citoyen⋅ne⋅s. Je voudrais proposer ici l’argument que ceci n’est pas le cas. En réalité, le vote porte sur la nature démocratique de la Suisse et ceci pour deux raisons : premièrement, il s’agit d’un changement constitutionnel qui est intimement lié au caractère de la Suisse en tant que pays ; deuxièmement, il existe de nombreuses personnes dépourvues de droits politiques qui vivent en Suisse depuis plusieurs générations.
L’impression que nous avons du vote est qu’il y a au moins deux statuts différents dans la sphère nationale : les personnes du premier statut (les citoyen⋅ne⋅s) déterminent le destin des personnes du deuxième statut (les étranger⋅ère⋅s). C’est de penser qu’il est normativement justifié que « […] c’est nous, qui sommes déjà membres, qui faisons le choix, en accord avec notre conception de ce que l’appartenance signifie dans notre communauté et du type de communauté que nous souhaitons avoir » (Walzer 1983: 62). Mais, en démocratie, l’obédience à des règles est justifiée parce qu’elles sont issues de l’autorégulation du peuple. C’est dans ce sens qu’il y a une tension entre les nécessités normatives de la démocratie et un mécanisme de vote populaire.
Une réflexion plus approfondie nous montre que cette vision malencontreuse est porteuse d’une présupposition : que la subjectivation d’un groupe n’a pas d’effet sur l’ethos ou le caractère démocratique du pays. Ceci parait improbable dans un contexte où environ une personne sur quatre vivant en Suisse est dépourvue de (certains) droits politiques, un taux voué à augmenter avec la nouvelle loi sur la nationalité dès 2018.
En bref, l’existence d’un groupe de personnes aussi important qui n’est pas traité devant la loi de manière égale aux citoyen⋅ne⋅s, même si elles s’y assujettissent, met en danger le caractère démocratique de la Suisse. Ceci est défavorable à l’ensemble des Suissesses et des Suisses, d’autant plus parce que le vote porte sur un changement constitutionnel, et touche ainsi au plus grand déterminant du caractère d’un pays. C’est dans ce sens que Walzer, même s’il reconnait le droit (presque) absolu des communautés d’exercer des politiques de fermeture quant à l’admission des nouveaux immigrants et des nouvelles immigrantes, prône une politique d’ouverture au sujet à la citoyenneté. Celles et ceux qui ne possèdent pas de droits politiques restent objets plutôt que les sujets : « Ce n’est pas une perspective attrayante, car une famille avec des domestiques vivant sous le même toit est – inévitablement, je crois – une petite tyrannie (Walzer 1983: 89) ».
Vu sous cet angle, le sens du vote se transforme de manière importante. Il s’agit pour la population suisse de déterminer si elle veut renforcer le caractère démocratique de la Suisse en reconnaissant les personnes qui y vivent déjà ; ou si elle préfère continuer à exclure et aliéner ces personnes. Mais, dans le second cas, il est nécessaire de se rappeler que ce n’est pas tant sur l’inclusion ou l’exclusion d’un groupe déterminé de personnes que le peuple suisse va se prononcer, mais également sur la nature démocratique de la Suisse. Les Suissesses et les Suisses veulent-ils la renforcer ou l’affaiblir ?
Esma Baycan
Doctorante, nccr – on the move, Université de Genève et KU Leuven
Référence
Walzer, Michaël. Sphères de justice : une défense du pluralisme et de l’égalité, traduit par Pascal Engel. Paris: Editions du Seuil, 2013.
Today, some 25 % of the people over 18 years old who live in Switzerland do not have the right to active political participation at the federal level because they are not naturalized and, thus, do not have a Swiss passport. The nccr – on the move publishes a series of blog posts on naturalization in Switzerland, providing facts and figures in the run-up to the vote on facilitated naturalization of 3rd generation foreigners, which will take place on 12 February 2017.