Les employeurs·euses préfèrent-ils les hommes ?

02.07.2019 , in ((Gender, Skills, Migration)) , ((No commenti))

Actuellement, près de la moitié des personnes immigrées viennent en Suisse pour y travailler et une grande partie d’entre elles ont déjà un contrat de travail à leur arrivée. Ces migrations de travail sont le plus souvent masculines, tandis que les femmes sont surreprésentées parmi les personnes qui migrent pour accompagner un conjoint. Ce phénomène s’explique en partie par des normes structurelles genrées qui favorisent les carrières des hommes aux dépens de celles des femmes. Une étude récente suggère néanmoins que les préférences des employeurs·euses auraient aussi un rôle à jouer dans cet état de fait.

En 2016, le nccr – on the move a interrogé 5800 personnes arrivées en Suisse au cours des 10 dernières années, afin de mieux comprendre leur trajectoire migratoire, leur expérience personnelle et familiale d’intégration, leur participation au marché du travail et leur degré de satisfaction avec leur nouvelle vie (plus d’information ici). Cette enquête a permis de récolter des données inédites sur une population encore peu étudiée (cliquer ici pour accéder aux analyses détaillées). L’une des publications issues de cette enquête (disponible ici) s’est penchée sur le type d’aide à la relocation que les employeurs·euses offrent à leur personnel étranger hautement qualifiée qu’ils souhaitent attirer en Suisse. Cette recherche a révélé des inégalités marquées notamment en termes de genre, mais aussi de nationalité.

Pourquoi étudier les aides à la relocation ?

En Suisse, les employeurs·euses jouent un rôle majeur pour attirer de la main d’œuvre hautement qualifié. L’enquête du nccr – on the move révèle que, dans environ un tiers des cas, les entreprises ne se contentent pas de recruter leur main-d’œuvre à l’étranger, mais offrent également diverses aides pour motiver et faciliter l’installation de leurs nouveaux et nouvelles collaborateurs·trices en Suisse. Ces aides peuvent notamment inclure le financement des frais de déplacement, un soutien administratif pour l’obtention des permis de séjour, un accompagnement pour favoriser l’insertion professionnelle du ou de la conjoint·e ou encore la recherche d’un logement. Les paquets de relocation sont généralement négociés au cas par cas, en fonction des besoins de l’entreprise et de la valeur qu’elle accorde aux futur es collaborateurs trices. Analyser la manière dont les aides à la relocation sont distribuées permet donc de mieux comprendre quels types de personnes les entreprises souhaitent recruter en priorité.

Que révèle l’analyse ?

L’analyse tirée des données du nccr – on the move montre tout d’abord que les hommes ont plus souvent accès à une aide à la relocation par le biais de leur employeur·euse que les femmes. Ce qui n’est en soi pas surprenant, étant donné que les hommes sont plus nombreux que les femmes à venir en Suisse dans le but d’y travailler. Ces résultats deviennent plus intéressants lorsqu’on compare des hommes et des femmes arrivant en Suisse dans le cadre d’un contrat de travail et ayant un profil similaire en termes de niveau de formation, nationalité, secteur professionnel et position au sein de l’entreprise. Nous voyons alors que même à profil et compétences égales, les femmes reçoivent moins de soutien de la part de leur employeur·euse que les hommes. Une analyse plus poussée révèle que ce désavantage touche en particulier les femmes mariées. Par ailleurs, nous observons qu’au-delà du genre, la nationalité joue aussi un rôle important pour accéder au soutien des employeurs·euses. Les personnes issues d’Afrique de l’ouest sont à cet égard particulièrement défavorisées.

Comment interpréter ces résultats ?

Bien que ce phénomène ait encore été peu étudié, plusieurs indices suggèrent que les employeurs et employeuses ne sont pas pour rien dans la composition majoritairement masculine des flux migratoires à fins professionnelles. Une étude suédoise récente a par exemple montré qu’ils sont souvent réticents à engager des femmes vivant loin du lieu de travail, tandis que les hommes rencontrent moins ce type d’obstacle. De plus, la recherche a depuis longtemps mis en lumière le fait que le genre influence la manière dont les compétences professionnelles sont évaluées en défaveur des femmes. Finalement, plusieurs études révèlent que les politiques internes des entreprises sont particulièrement inadaptées pour soutenir les couples dans lesquels chacun des membres souhaite poursuivre une carrière après une relocation. Cela peut expliquer pourquoi les entreprises se montrent particulièrement prudentes lors du recrutement d’une femme mariée. Une enquête ethnographique menée conjointement à l’analyse des données récoltées par le nccr – on the move indique notamment qu’elles évitent d’investir dans des relocations pour lesquelles elles craignent un départ précipité de leur nouvel·le employé·e et tendent pour cette raison à se limiter aux situations les plus conventionnelles.

Ces pratiques contribuent néanmoins à renforcer un cercle vicieux puisque, si les femmes qui migrent en Suisse accompagnées de leur conjoint reçoivent moins de soutien, le risque que l’un des membres du couple soit insatisfait de sa relocation et convainque l’autre de repartir augmente d’autant plus, confirmant ainsi les craintes des employeurs·euses. Des mesures plus concrètes au sein des entreprises pour favoriser les carrières féminines et duales dans le cadre d’une relocation semblent donc particulièrement nécessaires.

Laure Sandoz est PostDoc à l’Université de Neuchâtel, Institut de géographie, associée au nccr – on the move dans le cadre du projet «Migrant Entrepreneurship: Mapping Cross-Border Mobilities and Exploring the Role of Spatial Mobility Capital». Sa thèse doctorale s’est concentrée sur les différentes pratiques et politiques visant à attirer des migrant·es hautement qualifié·es en Suisse (voir projet The Mobility of the Highly Skilled towards Switzerland).

Références:

– Brandén Maria, Bygren Magnus and Gähler Michael (2018). “Can the trailing spouse phenomenon be explained by employer recruitment choices?” Population, Space and Place 24(6), e2141.
– Daune-Richard Anne-Marie (2003). “La qualification dans la sociologie française : en quête des femmes.” In Jacqueline Laufer, Catherine Marry and Margaret Maruani (eds.). Le travail du genre. Les sciences sociales du travail à l’épreuve des différences de sexe. Paris: La Découverte, 138-150.
– Mancini-Vonlanthen Nathalie (2016). Spouses and families of expatriates: A systematic literature review by correspondence analysis based on semantic segments”. LIVES Working Papers.
– Sandoz Laure (Forthcoming 2019). “Mobilities of the Highly Skilled towards Switzerland. The Role of Intermediaries in Defining ‘Wanted Immigrants'”, IMISCOE Research Series. Cham: Springer.
– Sandoz Laure and Santi Fabian (2019). Who Receives More Help? The Role of Employer Support in Migration Processes”. In Ilka Steiner and Philippe Wanner (eds.). Migrants and Expats: The Swiss Migration and Mobility Nexus, IMISCOE Research Series. Cham: Springer, 57-81.

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