Racisme et participation citoyenne : focus sur l’islamophobie genrée
Une étude du Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) démontre qu’il existe en Suisse un racisme structurel (systémique). L’étude définit le racisme structurel comme un système social qui reproduit des inégalités. Voyons comment les institutions politiques et médiatiques suisses participent à ces inégalités en restreignant de fait l’accès à une citoyenneté active d’une partie de la population et sa confiance dans les institutions.
Le système suisse ne protège pas contre l’avènement de votations stigmatisantes, que ce soit via le référendum législatif ou via les initiatives populaires (interdiction des minarets, de la burqa, contre les «criminels étrangers», pour contrôler «l’immigration de masse»). Lors de toutes ces votations, on a assisté à une couverture médiatique anxiogène pour les populations directement affectées, qui ne prenait que peu en compte leur avis (voir rapport SFM p.42) ou leur bien-être.
La modération des commentaires dans les médias est insuffisante, (voir le travail d’Alliance F avec le projet stop hate speech). Le choix des titres, ou encore la manière d’amener les sujets sont également problématiques. On peut également penser au choix des personnes invitées. A titre d’exemple, un député UDC avait été invité sur une chaine publique à débattre du droit des femmes musulmanes de se vêtir comme elles le souhaitent, alors qu’il avait été condamné par le Tribunal fédéral pour appel à la haine raciale envers les personnes musulmanes (voir arrêt 6B_644/2020 du 14.10.2020). Il avait en effet écrit «on en redemande» sur Twitter suite à une tuerie dans la mosquée de Saint-Gall.
Baignades inclusives et burkini
En février 2023, la Ville de Genève a adopté un règlement de piscines plus inclusif, qui supprime les indications liées au genre, et permet les maillots couvrants. L’objet, porté par la gauche, ne visait pas uniquement le burkini mais plutôt l’inclusion de toute la population. En effet, la campagne Baignades inclusives que j’ai démarrée au printemps 2022 avec l’association Petits Pas de Société, a révélé le fait qu’il n’y a pas que les femmes musulmanes portant le foulard (ou « femmes voilées ») qui souffrent potentiellement de ces règlements, mais également par exemple certaines personnes cibles de grossophobie, les personnes trans, non-binaires, en transition, enceintes, portant des cicatrices ou ayant des problèmes de peau. En somme, toute personne qui souhaiterait se couvrir ou se découvrir (en respectant l’interdiction de nudité) pour se baigner, pour une raison ou une autre.
Notre campagne a permis entre autres de rédiger un argumentaire largement diffusé, de conseiller des élu·e·s (par exemple pour la rédaction de postulats), d’envoyer une lettre ouverte et de récolter plus de 1’500 signatures en trois jours. Plusieurs organisations représentant divers centres d’intérêts ont signé la lettre ouverte : la Grève féministe, Epicène, les Foulards Violets, Body Positive Schweiz et Petits Pas de Société (lutte contre le sexisme, la transphobie, l’islamophobie genrée, la grossophobie et pour la diversité et l’inclusion). Une mobilisation exemplaire qui a permis une avancée pour plus d’inclusivité de manière transversale, ce qui est une bonne nouvelle.
Pourtant, les médias ont focalisé leur attention sur le burkini seul. Même type de couverture médiatique suite à l’acceptation d’un postulat sur la même question à Lausanne. Les femmes musulmanes, dont les vies sont déjà jonchées de discriminations (voir mon article dans TANGRAM 46 « A l’intersection du sexisme et du racisme, un phénomène complexe »), se sont à nouveau trouvées exposées à des discours de haine sur les réseaux sociaux. A noter que les femmes sont par ailleurs davantage touchées par les discours de haine en ligne, et l’appartenance à une minorité religieuse est un facteur aggravant selon la Recommandation générale n° 1 du GREVIO sur la dimension numérique de la violence à l’égard des femmes.
Puis, la droite a attaqué le texte en annonçant le lancement d’un référendum et même carrément menacé d’interdire les maillots couvrants au niveau cantonal. Le problème ici n’est pas tant l’utilisation par un parti d’outils démocratiques, mais plutôt l’acharnement politique caractérisé par des partis disposant de ressources démesurées face à celles des groupes minoritaires.
Le cas de l’initiative anti-burqa
Certes, les groupes minoritaires peuvent s’organiser sur une base bénévole, comme c’était le cas lors de la campagne contre l’initiative de l’UDC visant à interdire la burqa (la votation du 7 mars 2021) qui a stigmatisé les personnes musulmanes, et en particulier les femmes portant le foulard. Nous avons donc mené avec les Foulards Violets (organisation qui se bat principalement contre l’islamophobie genrée) une lutte acharnée, mobilisé les organisations militantes, féminines, féministes, écologistes, antiracistes, partis et syndicats de toute la Suisse, et nous avons eu une très large couverture médiatique.
Nous avons ainsi participé à faire baisser le « oui » dans les sondages de plus de 60% à 51.2%. Tout ceci avec un budget de zéro francs, mais avec des coûts personnels importants. Il en est de même dans toutes les luttes menées par les groupes minoritaires. En effet, les attaques répétées contre les droits des minorités, mais surtout leur cadence rapprochée, rendent difficile la possibilité systématique de mobilisation.
A travers la couverture médiatique de l’initiative anti-burqa, nous avons pu assister à une prolifération des termes « féministes divisées », alors qu’aucune organisation féminine n’a soutenu le texte de l’UDC (c’était même le contraire), et que cette affirmation était facilement vérifiable. Les populations minorisées et mouvements de lutte n’ont-ils droit qu’à des couvertures médiatiques stéréotypées ?
Un système qui dissuade les signalements de racisme ?
Face aux couvertures médiatiques biaisées ou mêmes fausses, la non-reconnaissance de convergences de luttes et des avancées sociales, l’acharnement et les backlashs politiques, on peut se demander, à raison, quel est le message renvoyé aux personnes racisées quant à leur possibilité de participation démocratique. Mais cela a également une incidence sur le nombre extrêmement bas de signalements de cas de racisme (voir rapport centres de conseil, 2023) comparé à ce que l’on constate dans la pratique, bien qu’ils aient augmenté. Il y a donc un lien direct entre l’accès aux outils démocratiques, et la possibilité de collecter des statistiques fiables, le trait d’union étant la confiance dans les institutions.
Meriam Mastour est juriste indépendante et consultante sur les questions d’inégalités et de discriminations.
Références :
-Leonie Mugglin, Denise Efionayi, Didier Ruedin et Gianni D’Amato. Racisme structurel en Suisse : un état des lieux de la recherche et de ses résultats. In SFM Studies #81f.
-Tribunal fédéral, arrêt 6B_644/2020 du14.10.2020.
-Meriam Mastour. 2022. « A l’intersection du sexisme et du racisme, un phénomène complexe ». In TANGRAM 46 Le racisme structurel, Revue de la Commission fédérale contre le racisme.
-Recommandation générale n° 1 du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) sur la dimension numérique de la violence à l’égard des femmes adoptée le 20 octobre 2021)
-Réseau de centres de conseil pour les victimes de racisme. Berne, avril 2023. Incidentsracistes recenséspar les centres deconseil 2022 : rapport sur la discrimination raciale en Suisse établi sur la base desdonnées du système de documentation et de monitorage du racisme DoSyRa.