Rêves d’ailleurs des jeunes migrant·e·s face aux politiques d’immigration

13.03.2019 , in ((Blog series, Social Work)) , ((No commenti))

Pour les jeunes adultes, le projet de quitter leur pays et d’émigrer porte une part de rêve et d’imaginaire qui a été longtemps sous-estimée par rapport aux motivations matérielles. Le processus de migration englobe un avant, un après et même un entre-deux qui correspond à l’attente. Dans les pays d’accueil, les divers services sociaux se focalisent sur des objectifs d’intégration quantifiables et prédéfinis et prennent peu en compte les aspirations des jeunes migrant·e·s.

Une personne migrante arrive avec tout un bagage culturel, social et mémoriel, y compris l’ensemble des rêves et des aspirations qui ont nourri son projet de départ. Les jeunes, tout particulièrement, se projettent dans l’avenir et rêvent leur vie future. En conséquence, leur projet d’émigration est souvent étroitement lié à ce « rêve de vie » (Assogba and Fréchette 1997). Par ailleurs, les délais de plus en plus longs, les difficultés rencontrées le long du parcours avant d’arriver à destination, attisent le rêve et l’imaginaire. Souvent, l’esprit voyage bien avant le départ physique (Rousseau et al. 2001).

En se projetant dans l’avenir, les jeunes migrant·e·s vont puiser dans l’imaginaire et le rêve des lieux où ils et elles souhaiteraient vivre de manière libre et épanouie. Des entretiens, recueillis auprès de jeunes tunisien·ne·s souhaitant émigrer, montrent que ce désir de l’ailleurs est alimenté par la richesse des pays du Nord, qui s’affiche sur les réseaux sociaux et qui jouent le rôle d’une vitrine. Les réseaux sociaux nourrissent les rêves de ces jeunes et leur donnent envie de jouir de la liberté et l’autonomie qui émanent de ces tranches de vie s’étalant sur Facebook et compagnie. Ce désir de l’ailleurs, en plus de motiver leurs projets d’émigration, s’observe à travers leur volonté de cultiver leur différence par l’adoption de ce qui est associé à ces sociétés convoitées et en rejetant ce qui est typiquement tunisien.

Exil imaginaire

Fouquet, en évoquant une réalité similaire au Sénégal, parle d’un « exil imaginaire », car « ce procédé [d’adoption des pratiques occidentales] induit globalement une accélération et une exacerbation des processus d’individualisation : être exilé imaginaire, c’est d’une certaine manière produire et cultiver sa différence » (Fouquet 2005: 7). Une hypothèse intéressante à approfondir et qui nous amène à nuancer le terme « exil » dans l’analyse de Fouquet, car elle induit l’idée d’une séparation entre ces jeunes et la société. Ces jeunes se créent un espace pour s’évader des normes sociales contraignantes, où ils/elles peuvent développer de nouvelles formes de sociabilités et expérimenter de nouvelles voies d’autonomie.

Ce projet rêvé est souvent balayé ou dévalorisé à l’arrivée dans les pays d’accueil. On lui oppose une vision « adultocentrée » et « occidentalocentée », orientée vers l’objectif de réussir leur intégration, soit d’acquérir des compétences professionnelles permettant une intégration rapide sur le marché du travail (Gernet 2013). Qu’en est-il du projet initial des jeunes ? La place et l’effet du rêve dans le processus migratoire, particulièrement dans le cas des jeunes, devraient être mieux pris en compte, autant pour sa fonction de motivation et de soutien de leur projet, que pour les risques de désillusion. Pour des jeunes fuyant des zones ravagées par la pauvreté ou la guerre, la migration est synonyme de survie. Face à une attente prolongée et un enlisement de la situation dans les pays de transit, le rêve prend souvent le relais de la mobilité, il devient un facteur de résilience (Rousseau et al. 2001).

Rêves brisés par des contraintes administratives

Les professionnel·le·s du social et de l’intégration sont des acteurs importants dans le parcours de ces jeunes et jouent le rôle de relais et de médiateurs et médiatrices entre les jeunes migrant·e·s et les structures d’intégration. La pression politique et hiérarchique est souvent forte dans le sens d’une intervention qui répond à des objectifs préétablis. Par ailleurs, les contraintes juridiques, l’absence de statut reconnu et la durée d’attente pour l’obtention d’un permis de séjour constituent des obstacles importants pour l’accès des jeunes migrant·e·s aux cursus de formations professionnelles (Carbajal and Ljuslin 2010). Cette situation devient une impasse pour les jeunes migrant·e·s qui se retrouvent sans perspectives professionnelles ni possibilités de progression. L’intégration professionnelle se résume alors à un exercice de placement dans des emplois précaires et peu qualifiés.

De surcroît, l’organisation actuelle de l’instruction au niveau post-obligatoire et les conditions pour la reconnaissance des diplômes antérieurs se traduisent, dans la plupart des cas, par une non-reconnaissance des qualifications antérieures et l’obligation de refaire un cursus. La non-reconnaissance des diplômes et l’absence de passerelles possibles pour acquérir une équivalence donnent lieu à un sentiment de disqualification. Dans ces conditions, les jeunes voient leurs rêves se briser contre les contraintes administratives. Toutes ces restrictions ne respectent pas leur droit de choisir leur voie en fonction de leurs intérêts, capacités et ambitions.

Amel Mahfoudh is a scientific collaborator, Doctoral Student, School of Social Work, HES-SO Valais-Wallis. 

References:

– Assogba, Y., and Fréchette, L. (1997). Le concept d’aspiration et la démarche migratoire des jeunes. Pourquoi partir? Québec: Presses Universitaires de Laval.
– Carbajal, M. and Ljuslin, N. (2010). Jeunes sans-papiers d’Amérique latine en Suisse ou devenir adulte sur fond de recomposition de rôles, Lien social et Politiques, 64: 125-35.
– Fouquet, T. (2005). Variation autour des imaginaires constitutifs de la frontière et de l’Ailleurs chez les jeunes Dakarois: le “désir de l’Ailleurs” en perspective. Rencontre jeunes et société 13. Paris: Centre d’études africaines EHESS.
– Gernet, S. (2013). Construire un avenir entre deux mondes: le projet des mineurs isolés étrangers en question, Adolescence, 31: 633-49.
– Rousseau, C., Said, T. M., Gagné, M.-J., and Bibeau, G. (2001). Rêver ensemble le départ. Construction du mythe chez les jeunes Somaliens réfugiés, Autrepart, 18: 51-68.

Print Friendly, PDF & Email