« Sans-papiers » et lutte contre le « travail au noir »
À mi-chemin entre le droit du travail et le droit des personnes étrangères, la question de la répression du travail « au noir » est une thématique qui se retrouve souvent sur le devant de la scène, au gré des débats sur l’immigration et sa limitation. Si la question se pose souvent en termes « d’accaparation » du travail des indigènes par les personnes étrangères, la motion « Pour une législation cohérente sur les sans-papiers » attaque cette fois le travail au noir en tant qu’« incitation à rester en Suisse ».
Le travail au noir peut se définir comme « une activité salariée ou indépendante exercée en violation des prescriptions légales » (FF 2002 3374). S’il sera, dans ce billet, question exclusivement de la violation des normes de droit des personnes étrangères, ces dispositions ne sont toutefois pas les seules pouvant être incluses dans cette définition. En effet, on peut également parler de travail au noir lorsque des normes de droit fiscal, de droit des assurances-sociales ou de droit du travail – entre autres – sont violées.
S’agissant de l’exercice d’une activité économique par des personnes étrangères, le principe posé par la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr) est le suivant : quelle que soit la durée du séjour en Suisse, toute personne étrangère souhaitant y exercer une activité économique doit disposer d’une autorisation (art. 11 LEtr). Conséquence de ce principe, les personnes « sans-papiers » qui, par définition, séjournent en Suisse sans autorisation, ne sont pas autorisées à travailler.
Afin d’assurer le respect de cette interdiction, la LEtr prévoit des normes pénales sanctionnant la violation du principe posé ci-dessus. Ce sont ces sanctions qui, aujourd’hui, sont jugées insuffisantes par la Commission du Conseil national à l’origine de la motion.
Le système actuel
Les sanctions pénales prévues en lien avec l’art. 11 LEtr visent trois catégories de personnes : premièrement, les personnes étrangères exerçant une activité lucrative sans autorisation (art. 115 al. 1 let. c LEtr) ; deuxièmement, les personnes procurant une activité lucrative à un étranger ou une étrangère ne disposant pas d’autorisation (art. 116 al. 1 let. b LEtr) ; et finalement, les employeur·euse·s de personnes étrangères sans autorisation (art. 117 LEtr).
Dans les trois cas, la sanction prévue est relativement lourde puisqu’elle peut aller jusqu’à un an de privation de liberté. Elle peut cependant être encore plus importante et aller jusqu’à trois ans – additionnée d’une peine pécuniaire – lorsqu’il s’agit d’un cas de récidive (art. 117), voire jusqu’à cinq ans lorsque la personne commettant l’infraction cherche à s’enrichir ou agit en groupe et de manière suivie (art. 116). La peine peut également être allégée lorsque la personne agit par négligence (art. 115 et 117) ou dans les cas de peu de gravité (art. 116).
Quelques remarques relatives à la motion
La motion de la Commission du Conseil national, recommande un durcissement des sanctions à l’égard des employeur·euse·s, intermédiaires ou encore bailleur·euse·s de service, soit les catégories de personnes visées par les articles 116 et 117 LEtr. Ainsi, les personnes qui seraient touchées par le durcissement sont celles pour lesquelles, aujourd’hui déjà, la loi prévoit des sanctions extrêmement sévères. A titre de comparaison, un homicide par négligence est également puni d’une privation de liberté de trois ans au plus (art. 117 CP).
Les mesures demandées par la motion sont justifiées par le fait que les personnes sans statut légal ne devraient « pas pouvoir séjourner durablement » en Suisse. Si l’objectif est de limiter la durée du séjour en Suisse des « sans-papiers », alors des sanctions lourdes peuvent paraître pertinentes dans la mesure où le fait d’exercer une activité économique est clairement un élément favorisant un séjour durable et une intégration dans la société – à tel point d’ailleurs que l’intégration économique est l’un des critères pouvant mener à une régularisation des « sans-papiers » (art. 31 al. 1 let. d OASA).
Cependant, au vu des éléments développés ci-dessus, une question devrait occuper le Parlement : un durcissement de ces normes pénales permettrait-il réellement d’éviter le séjour à long terme des « sans-papiers » ? Pour répondre à cette question, il peut être intéressant de lire dans l’autre sens le lien entre durée du séjour et exercice d’une activité lucrative : si des personnes viennent et séjournent en Suisse à long terme, c’est parce que l’économie suisse a besoin d’elles, notamment en tant que main d’œuvre peu qualifiée.
Didier Leyvraz
Assistant et doctorant en droit des migrations, Université de Neuchâtel
Sans-Papiers en Suisse
La commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a déposé, le 26 janvier 2018, une motion recommandant l’adoption d’une législation cohérente sur les personnes « sans-papiers ». Cette motion demande, entre autres, une limitation des prestations des assurances sociales en faveur des personnes « sans-papiers », un service financé par l’État en cas de maladie, un durcissement des sanctions contre les employeur·euse·s, les recruteur·euse·s et les bailleur·euse·s, un échange d’informations facilité entre les organes étatiques et une précision des critères pour l’octroi des cas de rigueur. La série de billets de blog a pour objectif de reprendre et discuter certains des éléments mis en avant par la motion en lien avec les connaissances scientifiques actuelles. La motion a été retirée le 18 mai 2018.