L’initiative ‘sur les juges étrangers’ affaiblit les droits humains
L’acceptation de l’initiative « Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination) », lors des votations fédérales du 25 novembre 2018, conduirait à un affaiblissement des droits fondamentaux de la personne, ainsi que des minorités en Suisse.
L’un des principaux arguments des auteur·e·s et des partisan·e·s de l’initiative ‘sur les juges étrangers‘ consiste à dire que l’acceptation de celle-ci n’entraînerait aucun affaiblissement des droits fondamentaux de la personne dans notre pays. Cette argumentation repose sur une double affirmation, dont l’une est erronée. La Constitution fédérale, nous dit-on, contient un long catalogue de droits fondamentaux, du reste largement inspiré de celui de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), et qui va même sur certains points plus loin que celle-ci, c’est-à-dire qui garantit des droits fondamentaux supplémentaires. Il en résulte, selon les auteur·e·s de l’initiative, que les individus n’auraient absolument rien à perdre, du point de vue de la défense de leurs droits fondamentaux, d’une acceptation de l’initiative et du renversement de la hiérarchie et de la primauté du droit international sur la Constitution fédérale, qui en découlerait.
Or, si la première affirmation est sans doute correcte, la seconde oublie – ou tait volontairement – un élément important, un double élément même, qui caractérise le système politico-juridique suisse et qui infirme la validité de toute l’argumentation.
Juridiction constitutionnelle incomplète en Suisse
D’une part, aujourd’hui, la Suisse ne connaît qu’un système de juridiction constitutionnelle incomplet, dans lequel il n’y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales. Un contrôle de la conformité à la Constitution, donc aux droits fondamentaux qui y sont garantis, n’est donc pas possible pour les lois fédérales, lesquelles sont « immunisées » (art. 190 actuel). Cette « immunité » est toutefois en partie compensée par le fait qu’il est possible de contrôler – et faire contrôler – la conformité des lois fédérales par rapport au droit international, spécialement à la Convention européenne des droits de l’homme. Celle-ci contient, comme on l’a dit, un catalogue de droits fondamentaux assez semblable à celui de la Constitution et est, en vertu du principe de primauté du droit international, considérée en règle générale comme supérieure aux lois fédérales.
Avec l’initiative, tel ne serait plus le cas. L’art. 190 nouveau plaçant la Convention européenne des droits de l’homme, qui n’a pas été soumise au référendum populaire (c’est du moins l’avis des auteur·e·s de l’initiative, mais la question est discutée et discutable), « en dessous » des lois fédérales. Ainsi, une éventuelle violation d’un droit fondamental par une loi fédérale ne pourrait plus être sanctionnée par le Tribunal fédéral. Elle pourrait toujours l’être par la Cour européenne, laquelle ne serait pas liée, elle, par l’initiative et pourrait donc constater une violation de la Convention, c’est-à-dire un conflit entre droit international et droit interne, ce qui devrait cependant entraîner, selon l’article 56a proposé par l’initiative, l’obligation pour les autorités suisses de renégocier ou, plus probablement, de dénoncer ledit traité.
L’initiative s’attaque aux droits fondamentaux
D’autre part, avec l’initiative, la Constitution fédérale serait placée en dessus des traités ratifiés par la Suisse, quels qu’ils soient (sous réserve des règles impératives du droit international). En d’autres termes, la Convention européenne des droits de l’homme ne saurait – jamais plus – primer sur le droit constitutionnel interne. Or, on sait qu’il n’y a aujourd’hui en droit suisse pratiquement pas de limites à la révision de la Constitution et qu’il est dès lors possible, par la voie d’une initiative populaire, et pour autant que la majorité du peuple et la majorité des cantons l’acceptent, de mettre dans la Constitution des dispositions qui s’en prennent aux droits fondamentaux des individus et des minorités, qui leur portent atteinte, voire les violent. L’histoire récente en a du reste fourni de nombreux exemples (initiatives sur les minarets, sur l’internement à vie, sur l’expulsion des étrangers, etc.). Or, avec l’initiative pour l’autodétermination, il ne serait plus possible, ni pour le Tribunal fédéral ni pour aucune autre autorité suisse, de juger une telle initiative – en tout ou partie – contraire au droit international, et donc inapplicable ou applicable en partie seulement. La Cour européenne, elle-même, ne serait certes pas liée non plus par cette disposition, mais on retomberait, si elle devait juger que la Suisse a violé la Convention, dans l’hypothèse d’une obligation de dénoncer celle-ci.
Il est donc faux d’affirmer que l’acceptation de l’initiative n’impliquerait aucune réduction ou aucun affaiblissement des droits fondamentaux dans notre pays. Au contraire, l’initiative ‘sur les juges étrangers‘ s’attaque de front aux droits fondamentaux ou, du moins, elle aurait pour effet d’affaiblir considérablement la garantie, dans notre pays, de ces droits fondamentaux qui ont pour vocation de protéger les individus, mais aussi les minorités, contre les éventuels excès des décisions, même majoritaires.