Où passer sa retraite ? Mobilité résidentielle transnationale après 60 ans

21.04.2022 , in ((Transnational Ageing)) , ((No Comments))
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La mobilité résidentielle des retraité·e·s n’est pas un phénomène nouveau. Libérées des contraintes liées à l’emploi, il n’est pas rare que les personnes de plus de 60 ans choisissent de s’établir ailleurs, dans leur pays de résidence ou à l’étranger, de façon permanente ou périodique. Une pluralité de facteurs intervient dans cette décision. Dans ce qui suit, nous analysons comment se fait le choix du lieu de résidence en nous concentrant sur le rôle des liens d’attachement et du réseau social.

Notre contribution se base sur deux recherches qualitatives qui se sont penchées sur les stratégies de mobilité et les pratiques transnationales des personnes retraitées. Plus concrètement, nous nous sommes intéressées aux personnes qui ont passé une grande partie de leur vie professionnelle en Suisse et se sont installées dans la péninsule Ibérique une fois à la retraite. Les unes ont passé toute leur vie en Suisse, tandis que les autres sont d’ancien·ne·s travailleur·se·s migrant·e·s. Pour ces dernier·e·s, se pose souvent la question du retour dans le pays d’origine au moment de la retraite (Bolzman et al. 2006).

Alors qu’on pourrait s’attendre à trouver des différences importantes entre ces deux groupes, par exemple, en ce qui concerne les raisons qui les poussent à quitter la Suisse ou les choix résidentiels, les résultats de nos études montrent que bien des points les rapprochent. Ne pouvant aborder tous les aspects dans un texte aussi court, nous avons choisi de privilégier le thème de l’attachement à un lieu et le rôle du réseau social dans la décision de migrer, car ce sont deux aspects qui sont revenus souvent dans les récits de nos participant·e·s.

Le rôle de l’attachement à un lieu

Nos recherches de terrain, en Espagne et au Portugal, ont montré qu’il existe différentes formes d’attachement à des lieux bien précis de la péninsule Ibérique, et c’est le cas autant chez les personnes qui ont un passé migratoire que chez celles qui n’en ont pas. En Suisse, les migrant·e·s du sud de l’Europe ont, pour la plupart, maintenu une pratique de visites annuelles, voir pluriannuelles, avec leur pays d’origine tout au long de leur vie professionnelle ; une pratique transnationale motivée notamment par les liens avec la famille restée au pays. Quant aux personnes qui ont toujours vécu en Suisse, c’est-à-dire des personnes sans bagage migratoire, des pratiques similaires peuvent être observées. Prenons l’exemple de David : lorsqu’il était enfant, il faisait du camping en Espagne avec ses parents. Plus tard, sa famille a acheté une maison pour y passer plus de temps. David a ainsi tissé des liens forts avec ce pays depuis son enfance, bien qu’il n’ait ni famille ni nationalité espagnole.

Être propriétaire d’un logement dans un autre pays est aussi un facteur important que les individus prennent en compte lorsqu’ils élaborent leurs projets de retraite. On peut avoir acheté ou fait construire une maison quelques années plus tôt ou l’avoir reçue en héritage. Le fait d’avoir ce bien ainsi que sa localisation vont peser – positivement ou négativement – sur le choix du nouveau lieu de résidence. Ana, qui est venue en Suisse au début des années 1980 avec son mari, ne projette de repartir au Portugal que s’il leur est possible d’acheter un logement en ville ou en bord de mer, car elle ne se voit pas retourner vivre dans un environnement rural d’où elle est originaire. Cependant, pour ce faire, il leur faudrait vendre la maison de ses parents, une décision qui s’avère difficile à prendre.

En résumé, les visites (pluri)annuelles et la propriété représentent des ressources qui permettent de maintenir des liens avec un pays et certaines régions en particulier. Par ailleurs, elles constituent des facteurs prédictifs de la mobilité transnationale au moment du passage à la retraite (Attias-Donfut & Wolff 2005; Bolzman et al. 2006).

Le rôle du réseau social

Par réseau social, on entend la famille et les ami·e·s. Dans un autre billet de blog, nous avons montré que la famille est un élément avec une grande influence sur les stratégies de mobilité. Plus précisément, nous avons mis en lumière l’impact du réseau social sur le moment de la migration des retraité·e·s et la fréquence de leurs visites en Suisse. Nous souhaitons maintenant aborder l’influence du réseau social sur le choix du nouveau lieu de résidence à la retraite.

La localisation de la famille est, en effet, un facteur important lorsque les retraité·e·s décident de changer ou non de lieu de résidence à la retraite (De Coulon & Wolff 2010). Par exemple, chez Tiago, comme chez beaucoup de migrant·e·s âgé·e ·s, quitter la Suisse est à l’ordre du jour. Toutefois, sa femme est plus encline à partir que lui. Selon lui, c’est parce que sa famille à elle, au Portugal, habite à proximité : « Elle a une sœur qui vit près de [notre maison au Portugal] et elle a aussi une nièce et un neveu, ils vivent tous à côté. Donc, il y a toute cette famille… Ce sont ses neveux, je m’entends bien avec eux, mais enfin… ». Dans un monde globalisé, la famille peut aussi jouer un rôle important chez les personnes non-migrantes. Verena, par exemple, a décidé de quitter la Suisse à sa retraite car elle n’y a plus de famille. Sa fille unique est partie en Espagne après ses études, d’abord pour y passer quelques mois, puis elle est restée. Verena nous confie : « Quand j‘ai réalisé que la relation de ma fille avec son petit-ami allait durer et que je n’ai pas d’autre famille en Suisse, j’ai acheté un appartement ici, au sud de l’Espagne. »

Les exemples ci-dessus montrent que le réseau social dans un pays donné peut influencer la décision d’y résider à la retraite. De la même façon, on remarque que la présence d’un réseau social en Suisse peut faire hésiter les retraité·e·s à partir, indépendamment d’avoir ou non un passé migratoire.

Conclusion

Dans cette brève contribution, nous avons mis en évidence les similitudes observées en Suisse dans les stratégies de mobilité à la retraite des personnes migrant·e·s et non- migrant·e·s. Alors que la littérature scientifique a tendance à se focaliser sur les différences qui séparent ces deux groupes, nous avons montré que de nombreux phénomènes concernent autant les un·e·s que les autres et sont souvent influencés par les mêmes facteurs.

Liliana Azevedo is a Ph.D. candidate at Iscte – Instituto Universitário de Lisboa and an associated doctoral student to the nccr – on the move. Her Ph.D is supported by the Portuguese national agency for scientific research (FCT – SFRH/BD / 128722/2017).

Livia Tomás is a Ph.D. candidate at the Institute of Sociology at the University of Neuchâtel. She studies migration and (im)mobility patterns of retirees in the framework of the nccr – on the move project Transnational Ageing and Post-Retirement Mobilities.

References:

Attias-Donfut, C. & Wolff, F. (2005). Transmigration and Retirement Life Choices. Retraite et société 44, 79105.
Bolzman, C., Fibbi, R. & Vial, M. (2006). What to Do After Retirement? Elderly Migrants and the Question of Return. Journal of Ethnic and Migration Studies 32(8), 1359–1375.
de Coulon, A. & Wolff, F-C. (2010). Location Intentions of Immigrants at Retirement: Stay/Return or Go ‘Back and Forth’?. Applied Economics 42(26), 33193333.
–Tomás L. & Azevedo, L. (2021). (Im)Mobility During Retirement Years: Family as the Main Motivation? Blog contribution nccr – on the move.

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