Vieillir hors de Suisse ? Aperçu des nouvelles recherches

10.05.2022 , in ((Transnational Ageing)) , ((No Comments))
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Présentant les résultats de six nouveaux projets de recherche suisses, cette série de blogs s’intéresse au vieillissement transnational. Ce phénomène décrit différentes pratiques de personnes de plus de 55 ans qui traversent les frontières nationales, soit physiquement, soit de manière plus « symbolique ».

Avec une population vieillissante grandissante en Suisse, le vieillissement transnational est aujourd’hui un des phénomènes sociologiques émergents parmi les personnes âgées (Horn & Schweppe 2017). Voyons plus en détail ce que différentes recherches suisses ont à dire à ce sujet.

Trois pratiques transnationales : loisirs, achats et care

En se basant sur l’étude quantitative sur le vieillissement (TAS I) Fernández et Crettaz montrent que les pratiques transnationales de loisirs (p. ex. faire des vacances à l’étranger) et de consommation (p. ex. acheter des produits non disponibles ou trop chers en Suisse) sont très répandues chez les plus de 55 ans résidant en Suisse, avec et sans origine migratoire. En revanche, les personnes issues de la migration sont significativement plus nombreuses à indiquer se rendre à l’étranger pour rendre visite à leur famille ou s’occuper de leurs proches.

Même si moins prépondérantes, de telles pratiques de care familial transnational existent aussi dans la population âgée non-migrante. Nedelcu et Wyss soulignent l’importance de ce sujet encore peu exploré en montrant comment les grands-parents suisses peuvent développer des pratiques transnationales à l’âge de la retraite lorsqu’ils vont prendre soin de leurs petits-enfants vivant à l’étranger. De même, Blanc met l’accent sur des relations amoureuses transnationales comme une stratégie développée par des hommes entre 60 et 70 ans pour recevoir du care. Les destinations préférées dans ce cas sont la Thaïlande et le Brésil. Ces études montrent ainsi que les relations de care dans la mobilité transnationale vont dans les deux sens : elles sont parfois données et parfois reçues.

Où passer sa retraite ?

Une pratique transnationale qui se diffuse de plus en plus est la mobilité résidentielle. Cette mobilité est au centre des recherches d’Azevedo et Tomás qui s’intéressent aux personnes de plus de 60 ans qui réfléchissent à quitter la Suisse pour s’installer dans la péninsule ibérique ou qui l’ont déjà fait. Elles montrent que deux facteurs jouent un rôle important dans le choix du nouveau lieu de résidence : d’une part, l’attachement au lieu, qui s’est développé au fil du temps à la suite de voyages réguliers, et d’autre part, le réseau social. Ce dernier peut à la fois avoir un effet de soutien sur les projets d’émigration des personnes âgées, ou de frein, par exemple, lors de la naissance de petits-enfants en Suisse.

L’institutionnalisation du transnationalisme

Le transnationalisme prend de plus en plus des formes institutionnelles. En se focalisant sur les travailleur·se·s sociaux en Suisse, Johner-Kobi montre que les professionnel·le·s des cabinets de conseil jouent un rôle important dans la capacité d’action des migrant·e·s âgé·e·s au niveau local et – si pris en compte – transnational. Actuellement, le soutien donné par rapport au contexte transnational ne fait pas partie des devoirs formels des travailleur·se·s sociaux et reste à la discrétion des professionnel·le·s. L’intégration d’une perspective transnationale dans le travail social est donc une piste d’amélioration pour le futur de ces services.

De plus, Meli illustre une nouveauté institutionnelle qui a été récemment mise en place : les « divisions méditerranéennes » dans les maisons de retraite. Ces divisions se sont formées ces dernières années en réponse à la diversité de la population vieillissante en Suisse. L’objectif de ces divisons spécifiques est de répondre de manière plus nuancée aux besoins de la population migrante en Suisse et d’améliorer ainsi le service. Une pratique similaire d’adaptation du service se fait aussi à l’étranger. En Thaïlande et en Pologne, par exemple, des maisons de retraite s’adressent spécifiquement à une clientèle germanophone (Bender & Schweppe 2019).

Vieillissement transnational pendant la pandémie de COVID-19

Au cours de ces deux dernières années de pandémie de COVID-19, les pratiques transnationales sont devenues beaucoup plus difficiles, voire impossibles. En effet, les données de l’étude quantitative (TAS I) indiquent qu’environ 58% de personnes de 55 ans ou plus issues de la migration auraient souhaité plus de contacts avec leur famille à l’étranger pendant la pandémie (voir le billet de blog de Ravazzini). Ce souhait de rencontre plus fréquente apparaît aussi dans la contribution de Nedelcu et Wyss chez les grands-parents suisses de petits-enfants en bas âge résidant à l’étranger.

La pandémie a eu un autre effet négatif sur les personnes qui vieillissent hors des frontières suisses. La recherche de Ludwig-Dehm et Dones suggère que les liens transnationaux étaient associés à une fréquence plus élevée de sentiments d’angoisse et de préoccupation pendant la crise de COVID-19 parmi les personnes de 65 ans et plus d’origine italienne. Les liens transnationaux s’expriment ici par des visites dans le pays, le fait d’avoir de la famille ou des amis dans ce pays, le désir d’y retourner et les nouvelles apprises dans la presse écrite, à la télévision ou sur internet.

Conclusion

Les différentes recherches sur lesquelles se base cette série de blogs apportent une contribution importante pour mieux comprendre les souhaits et les besoins de la population 55+ dans le contexte suisse. Il en ressort que le transnationalisme n’est pas uniquement une pratique des personnes avec une origine migratoire, mais intéresse une bonne partie de la population suisse dans son ensemble. De plus, le transnationalisme ne reste pas uniquement au niveau de la sphère personnelle ou familiale, mais commence aussi à prendre forme dans les institutions, notamment dans les maisons de retraite et dans les cabinets de conseil. Enfin, le choix du lieu de résidence et donc la décision de quitter la Suisse (ou pas) à l’âge de la retraite est un produit de ces pratiques transnationales qui ont récemment été bouleversées par la pandémie de COVID-19.

Livia Tomás is a Ph.D. candidate at the Institute of Sociology at the University of Neuchâtel. In the framework of the nccr – on the move, she studies migration and (im)mobility patterns of retirees (Transnational Ageing and Post-Retirement Mobilities.

Laura Ravazzini works at the Swiss Federal Statistical Office and at the Institute of Sociology of the University of Neuchâtel. Within the nccr – on the move, she currently collaborates in the project “Transnational Ageing: Post-Retirement Mobilities, Transnational Lifestyles and Care Configurations”.

References

– Bender, D. & Schweppe, C. (2019). Care facilities for Germans in Thailand and Poland: making old age care abroad legitimate. International Journal of Ageing and Later Life, 2019 13(2): 115143.
– Gerber, R. & Ravazzini, L. (2022). Life satisfaction among skilled transnational families before and during the COVID‐19 outbreak. Population, Space and Place, e2557.
– Horn, V. & Schweppe, C. (2017). Transnational aging: Toward a transnational perspective in old age research. European Journal of Ageing 14(4), 335339.
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