Naturalisation et identité nationale. Le débat sur la diversité culturelle à travers les affiches politiques.
En Suisse, la question de la naturalisation, indissociable de la naissance d’un Etat moderne et de la citoyenneté nationale qui y est associée, se pose à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. Elle acquiert cependant un caractère plus urgent et central avec le débat sur la « question des étrangers », qui voit le jour au tournant du XXe siècle. La question est posée en ces termes : la naturalisation doit-elle précéder l’assimilation ou au contraire la suivre ?
Les différentes conceptions de la nationalité opposent ainsi les tenants du droit du sol, pour lesquels des naturalisations en masse seraient la seule mesure pour que les étrangers ne deviennent pas plus nombreux que les indigènes, et les courants conservateurs, selon lesquels la naturalisation ne doit intervenir qu’après l’assimilation, pour éviter de produire des « Suisses de papier ».
Avant la Première guerre mondiale, les discussions sont très vives à ce sujet et la solution visant à faciliter les naturalisations pour favoriser l’intégration dans un second temps semble prédominer. Mais le conflit modifie profondément la manière dont l’immigration est perçue et marque la fin d’une liberté de déplacement pratiquement illimitée en Europe. La conception conservatrice de la nationalité s’impose dans l’entre-deux-guerres : la naturalisation n’est plus une condition ou un moyen mais une conséquence de l’assimilation.
En 1922 déjà, puis en 1983, en 1994 et en 2004, le peuple suisse rejette différentes propositions visant à faciliter la naturalisation des étrangers et des étrangères né·e·s et ayant grandi en Suisse. Ces scrutins donnent lieu à la production d’affiches qui permettent de mettre en évidence les arguments des initiants et des opposants, arguments qui peuvent être résumés via un bref retour sur la dernière votation en date.
Les arguments pour ou contre une acquisition facilitée de la nationalité renvoient en réalité à des conceptions profondément divergentes de l’identité nationale. Les défenseur·e·s d’une vision restrictive de l’accès à la citoyenneté craignent une diversification des valeurs nationales, tandis que les partisan·e·s d’une conception multiple de l’appartenance soulignent l’apport de ces différences.
C’est ce dont témoignent les affiches produites par le comité en faveur de la naturalisation facilitée des deuxièmes et troisièmes générations d’étrangers. La première présente deux symboles culinaires nationaux facilement identifiables. Le caquelon à fondue est décoré de la plus alpine des fleurs, l’edelweiss, et d’une croix fédérale. Mais le fromage a été remplacé par des spaghettis ! En associant ces deux mets typiques, cette affiche illustre la mixité culturelle constitutive des personnes issues de la migration représentées par l’association IG secondas.
La seconde affiche utilise quant à elle la dénomination d’origine, le célèbre Made in Switzerland, pour décrire une Suisse devenue multiculturelle. La photographie de bébés aux couleurs de peau différentes – référence explicite aux campagnes publicitaires d’Oliviero Toscani pour Benetton – exprime visuellement ce message de cohésion par la mixité. Les enfants évoquent directement le thème de la votation et, par leur regard dirigé vers le haut, un avenir plus ouvert où l’intégration par la naturalisation serait facilitée.
A l’opposé de cette position favorable au multiculturalisme, une perte de contrôle sur les naturalisations est considérée comme un péril pour l’identité même de la Suisse, mais également pour sa sécurité. Ce dernier argument est à nouveau saisi en 2017 par le comité contre la naturalisation facilitée de la troisième génération.
L’UDC en particulier s’oppose à une libéralisation de l’accès à la citoyenneté, synonyme de « naturalisations en masse ». En 2004, celles-ci sont mises en image par le biais de mains saisissant avec avidité des passeports helvétiques mis à leur libre disposition. La dimension « étrangère » des mains est soulignée par leurs couleurs, plus ou moins foncées.
Enfin, le péril encouru par la Suisse est illustré par la « menace islamiste ». Dans le cadre d’une rhétorique populiste classique, la définition du Conseil fédéral est opposée à celle du citoyen normal. Mais avec la reproduction d’une carte d’identité dont le propriétaire n’est autre que le célèbre leader d’Al Qaida, Usama Bin Laden, les Jeunes UDC du Valais vont beaucoup plus loin, en laissant entendre que le « bradage de la nationalité » et les « naturalisations en masse » pourraient permettre une infiltration terroriste dans le pays.
Les affiches politiques permettent ainsi de mettre en évidence les principaux arguments développés en faveur ou contre une libéralisation de l’accès à la citoyenneté. Mais, au-delà du débat lui-même, elles illustrent une opposition beaucoup plus profonde entre deux conceptions de la communauté nationale ouverte ou fermée à la diversité.
Francesco Garufo
Chercheur senior, nccr – on the move, Université de Neuchâtel
Maître-assistant, Institut d’histoire, Université de Neuchâtel
Pour approfondir le sujet
Arlettaz, Gérald et Silvia Arlettaz. La Suisse et les étrangers. Lausanne : Antipodes, 2004.
Di Donato, Flora. L’integrazione degli stranieri in Svizzera. Milano-Udine : Mimesis edizioni, 2016.
Studer, Brigitte, Gérald Arlettaz, et Regula Argast. Le droit d’être Suisse. Lausanne : Antipodes, 2013.
Environ 25% des personnes majeures qui vivent en Suisse n’ont pas le droit de prendre part aux décisions politiques au niveau fédéral parce qu’elles ne sont pas naturalisées et, par conséquent, ne possèdent pas le passeport suisse. Préalablement au vote sur la naturalisation facilitée des personnes étrangères de la troisième génération, prévu le 12 février 2017, le « nccr – on the move » publie une série de billets de blog présentant des données et des faits sur la naturalisation en Suisse.