Inégalités dans l’accès à l’emploi pour les descendants de migrants
Quinze ans après la toute première recherche suisse en la matière, une nouvelle étude se penche sur la discrimination dans l’accès à une place de travail. Celle-ci compare les chances de jeunes descendants d’immigrés et de jeunes d’origine suisse d’être convoqués à un entretien d’embauche. Les résultats montrent des différences significatives dans les chances des candidats selon le pays d’origine de leurs parents.
Les données sont collectées en monitorant une expérience. Il s’agit de répondre à des annonces publiques pour un poste à pourvoir par l’envoi de deux candidatures en tous points « identiques ». Celles-ci différent toutefois quant au nom et à l’origine des candidats. Nous avons comparé le traitement des candidatures de jeunes adultes de nationalité suisse descendant d’immigrés à celui de candidats issus de familles suisses, en observant si les deux candidatures étaient traitées de la même manière ou si seul un candidat était convoqué pour un entretien d’embauche.
Résultats
Les citoyennes et citoyens suisses descendants d’immigrés doivent envoyer environ 30% plus de dossiers de candidatures, afin d’être convoqués à un entretien d’embauche pour un poste de vendeur et d’électricien, comportant donc une qualification de niveau apprentissage. Les différences de traitement entre candidats d’origine suisse et d’origine kosovare sont systématiques et toujours statistiquement significatives, alors que celles entre candidats d’origine suisse et d’origine turque ne le sont jamais.
Moins attendue, la discrimination à l’embauche touche également les candidats dont les parents sont originaires de pays voisins de l’UE. Les candidats d’origine allemande connaissent le taux de discrimination le plus élevé lorsqu’ils se portent candidats pour un poste de vendeur/vendeuse et le taux le plus bas dans toutes les autres professions testées. Les candidats d’origine française en Suisse romande, en revanche, ne connaissent pas un traitement discriminatoire semblable.
La comparaison entre Suisse alémanique et Suisse romande montre que la discrimination à l’embauche est clairement une réalité dans les deux régions. En région germanophone, il a été possible de tester aussi l’accès à des emplois requérant une formation tertiaire, tels que spécialiste en ressources humaines et nurse. Les écarts de traitement entre majoritaires et minoritaires pour ces postes sont généralement inférieurs à ceux observés pour des professions exigeant une formation de niveau apprentissage. Les nurses suisses d’origine kosovare font cependant exception : elles doivent envoyer 30% de candidatures en plus que les candidates autochtones pour avoir les chances de décrocher un entretien d’embauche.
Discussion
En Suisse, les dossiers de candidatures pour une place de travail comportent de nombreux documents qui fournissent aux employeurs des renseignements cruciaux sur les candidats. Une telle pratique est censée réduire la ‘discrimination statistique’, à savoir le traitement défavorable découlant de la tendance des employeurs à prendre en compte pour la sélection l’appartenance des candidats à un groupe ethnique, afin de limiter les incertitudes et les pertes lors des recrutements. En fournissant la preuve d’une discrimination ethnique entre citoyens suisses porteurs des mêmes formations et qualifications, même lorsque la documentation fournie à l’employeur est exhaustive, les résultats de l’expérience indiquent qu’une partie de cette discrimination pourrait être attribuée à la « préférence pour la discrimination ».
Les études expérimentales sur la discrimination à l’embauche se sont multipliées au cours des années 2000, ce qui montre que cette question est devenue une préoccupation répandue, en Amérique du Nord, dans presque tous les pays de l’UE-15, ainsi qu’en Suisse et en Norvège. Dans tous ces pays, les enfants d’immigrés sont de plus en plus nombreux à atteindre l’âge adulte et sont confrontés sur le marché du travail à des inégalités qui ne peuvent plus être attribuées aux déficits des migrants, comme ce fut le cas pour leurs parents. Nos résultats montrent que la Suisse connait également une importance croissante de la « deuxième génération » et n’échappe pas à la tendance à un traitement inégal – à parité de qualification – de ces jeunes sur le marché du travail.
Toutefois, contrairement à d’autres pays européens, la Suisse n’est pas très sensibilisée à cette question. Le taux de chômage relativement faible en comparaison internationale peut rendre la discrimination à l’embauche moins visible ; néanmoins, diverses études révèlent des recherches d’emploi très laborieuses avec de nombreuses postulations (Imdorf 2010) et une certaine perception de discrimination dans l’accès à la formation professionnelle et au marché du travail (Stünzi and Fibbi 2019). De plus, la Suisse est l’un des rares pays occidentaux à ne pas disposer d’une loi anti-discrimination. En conséquence, l’indice MIPEX comparant les dispositifs anti-discrimination dans les politiques d’intégration dans 38 pays (Huddleston 2015) analysant classe la Suisse au 35ème rang, suivie de la Turquie, du Japon et de l’Islande.
Rosita Fibbi est membre du comité de direction et responsable de projets du forum suisse pour l’étude des migrations et de la population à l’Université de Neuchâtel.
Références :
– Huddleston, Thomas (2015). Migrant Integration Policy Index 2015. Barcelona: CIDOB.
Imdorf, Christian (2010). Die Diskriminierung ‘ausländischer’ Jugendlicher bei der Lehrlingsauswahl. In: Hormel, Ulrike und – Albert Scherr (Hrsg.), Diskriminierung. Basel: Springer: 197-219.
– Stünzi, Robin and Fibbi, Rosita (2018). Trajectories and strategies of ethnic minority professionals in Switzerland. 2018 Imiscoe Annual Conference, Barcelona.
– Zschirnt, Eva and Fibbi, Rosita. Do Swiss Citizens of Immigrant Origin Face Hiring Discrimination in the Labour Market? nccr – on the move Working Paper #20 (February 2019).