La discrimination à l’embauche des descendant·e·s d’immigré·e·s
Au-delà des différences de permis de séjour qui contribuent à créer des hiérarchies de droits entre personnes étrangères, la discrimination demeure un problème bien réel en Suisse. Fondée sur l’attribution de caractéristiques collectives considérées comme innées et statiques, la discrimination peut être basée sur divers facteurs tels que la nationalité, l’origine ethnique ou le sexe.
Comme le montre la recherche scientifique, la discrimination affecte non seulement les personnes immigrées appartenant à des groupes marginalisés, mais tend également à se perpétuer au fil des générations, favorisant ainsi un cumul des désavantages sur le long terme. Consciente de cet enjeu, une équipe du pôle de recherche « nccr – on the move » au sein de l’Université de Neuchâtel a mené une étude expérimentale sur la discrimination à l’embauche.
Envoi de candidatures fictives
L’expérience consistait à répondre à des offres d’emploi publiques dans le secteur de la vente et de l’électricité par l’envoi de candidatures fictives de citoyen·ne·s suisses présentant des qualifications identiques mais différant au niveau du pays d’origine des parents. L’analyse mesure la discrimination en comparant le traitement des candidatures des personnes nées de parents suisses à celui réservé aux dossiers de citoyen·ne·s naturalisé·e·s descendant·e·s d’immigré·e·s turcs, kosovars, camerounais, français (en Suisse romande) et allemands (en Suisse alémanique). Concrètement, l’équipe de recherche observe si ces candidat·e·s sont invité·e·s à un entretien d’embauche et calcule l’écart entre le nombre de dossiers que les candidat·e·s d’origine immigrée doivent envoyer pour être convoqué·e·s à un entretien en comparaison à leurs congénères de parents suisses.
Discriminations selon le pays d’origine, la profession et le lieu d’habitation
Les résultats montrent que les probabilités d’être confronté à la discrimination varient entre les quatre groupes d’origine testés, faisant apparaître une forme de hiérarchie selon l’origine des parents : les Suisse·sse·s d’origine kosovare sont les plus exposé·e·s à la discrimination (ils·elles doivent soumettre environ 40 % plus de candidatures que les candidat·e·s de parents suisses pour être invité·e·s à un entretien d’embauche). Viennent ensuite les enfants d’immigré·e·s camerounais·e·s (30 % de candidatures en plus), suivis par les citoyen·ne·s suisses originaires de France et d’Allemagne (environ 20 % de dossiers en plus). Enfin, les Suisse·sse·s d’origine turque ont aussi moins de chances d’être invité·e·s à un entretien d’embauche que les candidat·e·s d’origine suisse (15 % de candidatures en plus), mais l’écart entre les deux n’est pas statistiquement significatif. De plus, l’ampleur de la discrimination varie d’une profession à l’autre. Elle est plus forte dans le secteur de la vente, où les contacts avec les client·e·s sont un élément constitutif du métier. Enfin, la discrimination à l’embauche est supérieure dans les zones rurales par rapport aux zones urbaines, mais elle est clairement une réalité dans les deux régions linguistiques, où l’on trouve une hiérarchie similaire.
Suisses mais tout de même discriminés
Au-delà de ces différences, les résultats de l’étude mettent en évidence une réalité encore peu débattue dans la société suisse : des inégalités de traitement affectent les jeunes suisses d’origine immigrée sur le marché du travail, même lorsqu’ils·elles sont détenteur·rice·s du même passeport et des mêmes qualifications linguistiques, scolaires et professionnelles que leurs contemporain·e·s d’origine suisse. Leur accès à un emploi se trouve freiné par un traitement discriminatoire directement imputable à l’origine étrangère de leurs parents. Ces résultats mettent en évidence un cumul des désavantages pour les personnes issues de la migration sur le marché du travail suisse. Outre les discriminations à l’embauche fondées sur la nationalité ou le titre de séjour, des inégalités de traitement affectent les citoyen·ne·s suisses issu·e·s de la migration parce qu’ils·elles portent le nom ou la couleur de peau de leurs ascendant·e·s.
Robin Stünzi est docteur en sciences sociales et responsable scientifique au nccr – on the move.
Ce texte se base sur un article publié dans une brochure accompagnant l’événement « Bienvenue à Heimatland ! » organisé par le Théâtre de la Connaissance qui s’inspire des recherches réalisées dans le cadre du nccr – on the move et de la MAPS sur le thème de la gestion migratoire.
Pour poursuivre la réflexion :
– Emission Diversité du 01.12.2019, « La discrimination : un mythe ou une réalité méconnue ? ».
– Fibbi, Rosita (2019). Minorités visibles, nccr – on the move blog (24 septembre 2019).
– Indicateur statistique sur la discrimination (2019). « Les Suisse·esse·s d’origine immigrée sont-ils/elles discriminé·e·s ? », Migration-Mobility Indicators. Neuchâtel: nccr – on the move, développé par une équipe de recherche du nccr – on the move.
– Lavanchy, Anne (2019). Racisme et racialisation – mettre en mots la discrimination raciale, nccr – on the move blog (28 mars 2019).
– Stünzi, Robin (2019). La discrimination à l’embauche des Suisses d’origine camerounaise, nccr – on the move blog (10 octobre 2019).
– Zschirnt, Eva (2019). Werden Schweizer*innen mit Migrationshintergrund auf dem Arbeitsmarkt diskriminiert?, nccr – on the move blog (25 mars 2019).