Asile en Europe : Les conditions d’un pacte

27.05.2021 , in ((Politique, Practices)) , ((Pas de commentaires))

En septembre 2020, la Commission européenne présente un « Pacte sur la migration et l’asile » où les règles de Dublin seraient abolies ou tout au moins amendées par un mécanisme de répartition des demandes d’asile après un premier examen dans le pays d’arrivée. Les pays souhaitant accueillir moins de personnes devraient en contrepartie exécuter les renvois des personnes déboutées ou fournir des moyens logistiques. Cette solidarité « flexible » a le potentiel de lever l’opposition du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie) et les réticences d’autres pays à un accueil contraignant. Comme par le passé, les autorités suisses se sont montrées prudemment favorables à la mise en place d’une telle répartition.

Des systèmes similaires de répartition géographique des demandes d’asile et/ou des réfugiés existent déjà au sein de plusieurs pays et fonctionnent souvent à satisfaction, malgré des phases de mise en place laborieuses. C’est le cas par exemple en Allemagne avec le « Königsteiner Schlüssel » entre les Länder et en Suisse entre les cantons. Toutefois, mettre en place un tel système à l’échelle de 27 pays en incluant idéalement la Norvège, la Suisse voire, à terme, le Royaume-Uni et les Balkans est une autre paire de manches. Avant d’entrer en vigueur, un tel projet devrait apporter des réponses aux quatre questions ci-dessous afin d’être administrativement réalisable et accepté par les autorités, les populations locales et par les demandeurs d’asile eux-mêmes.

1) Uniformisation des procédures et des standards de détermination du statut

La variabilité des taux de reconnaissance (statut de réfugié) et de protection (statut de réfugié + statuts subsidiaires) actuels pour certaines nationalités (Afghanistan, Turquie, etc.) entre les pays d’accueil révèlent des différences d’appréciation des motifs de protection qui ne pourraient être tolérées dans un système d’asile commun, quand bien même elles proviennent en partie de différences dans le profil des ressortissant·e·s d’une même nationalité. De telles divergences avaient été également relevées en Suisse avant l’uniformisation de la procédure d’asile à l’échelle nationale. Les surmonter pour l’Europe nécessitera d’aller bien au-delà de l’actuelle directive « qualification » et de mettre en place une autorité d’harmonisation et de surveillance complémentaire à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union dont les effets sont insuffisants. La question des droits de recours devra aussi être prise en considération, de même que celle de l’accès à la procédure et aux frontières en amont. En effet, l’un des plus graves dysfonctionnements de la politique d’asile européenne consiste à dénier l’accès à une procédure aux personnes bloquées dans les pays limitrophes de l’UE (« pushbacks »).

2) Détermination du moment de la relocalisation

La relocalisation des personnes peut intervenir potentiellement à deux stades de la procédure. En amont, les personnes devraient se rendre dans l’Etat auquel elles seraient affectées et où se déroulerait l’essentiel de la procédure, conformément à « l’ancien modèle suisse ». Ce modèle, plus expéditif et dénué d’infrastructures lourdes aux frontières, impliquerait toutefois des transferts considérables de personnes à travers le continent. En aval, les personnes seraient relocalisées après que leur demande d’asile ait été examinée dans l’un des centres de première évaluation (souvent appelés « hotspots ») situés dans les pays aux frontières desquels sont déposées le plus grand nombre de demandes. Cette deuxième option, adoptée dans le « nouveau modèle suisse » où des centres fédéraux prennent en charge les 140 premiers jours (maximum) de la procédure avant une répartition entre les cantons, semble avoir la faveur de la Commission. Un tel système semble en effet plus adéquat pour l’Europe mais suppose un investissement administratif bien plus considérable dans les pays accueillant les « hotspots ».

3) Marge de mobilité concédée aux individus

Avant de déplacer des dizaines de milliers de personnes à travers l’Europe, il s’agira de tenir compte des liens familiaux d’une manière plus flexible que ne le fait le système de Dublin. Pour les personnes sans destinations privilégiées, une affectation d’office peut se justifier, mais l’horizon temporel de cette dernière doit être clarifié : une fois qu’elle aura obtenu une protection, une personne pourra-t-elle déplacer sa résidence d’un pays à l’autre ? Sous quelle conditions (d’indépendance économique par exemple) ? Avec quel délai ? Une distinction sera-t-elle faite, comme en Suisse, entre les formes de protection (admission provisoire ou réfugié) ? Bien consciente que d’importantes migrations secondaires pourraient faire suite à l’octroi d’un statut, la Commission européenne envisage un mécanisme de sédentarisation mais ses contours sont encore flous et seront politiquement sensibles.

4) Marge de choix pour les gouvernements

Puisque certains pays de l’UE sont opposés à accueillir plus de demandeurs d’asile, l’idée d’un « common but differentiated responsability sharing » fait sens. Leur confier la tâche des renvois (cyniquement nommés « parrainages en matière de retour ») semble cependant problématique et nécessitera un monitoring strict du respect des droits fondamentaux des personnes. Demander à certains pays de contribuer au renforcement des capacités opérationnelles associée à une peine pécuniaire suffisamment haute pour garantir une véritable solidarité européenne comme l’exige désormais la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, semble à moyen terme plus réaliste.

Conclusion

En prenant la mesure des déséquilibres actuels et des innombrables défis d’une politique commune, la proposition de nouveau système d’asile à un parfum de « dernière chance ». Espérons que la relative accalmie des arrivées de demandes d’asile donnera à l’Union la chance de reprendre le projet d’une politique d’asile commune avant de devoir à nouveau agir dans l’urgence comme en 2015.

Etienne Piguet est professeur en Géographie à l’université de Neuchâtel et chef de projet du nccr – on the move dans le projet de recherche Migrant Entrepreneurship et vice-président de la Commission fédérale suisse des migrations CFM/EKM.

Ce billet de blog est un résumé d’un article publié dans Asyl – Revue suisse pour la pratique et le droit d’asile et une actualisation d’un blog publié en 2019.

Références:

Piguet, Etienne (2021). Comment partager la responsabilité de l’asile en Europe ? Asyl – Revue suisse pour la pratique et le droit d’asile (1), 17-21.
Piguet, Etienne (2021). Quelle serait une répartition équitable des réfugiés en Europe ? nccr – on the move, Migration-Mobility Indicators. Neuchâtel: nccr – on the move, 2021.

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