L’internationalisation dans les hautes écoles et ses ambivalences

30.06.2021 , in ((Social Work)) , ((Pas de commentaires))
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Les hautes écoles s’orientent unilatéralement vers des concepts et des formes de mise en œuvre de l’internationalisation qui favorisent la mobilité transfrontalière pendant les études. Cela ne rend pas justice à l’internationalité multiforme des membres des hautes écoles, les conditions de la société de migration étant notamment exclues des stratégies d’internationalisation actuelles. Cet article montre en quoi ceci est problématique dans une société de migration comme la Suisse. 

Le projet « Internationalisation dans les hautes écoles: De la signification du genre et de la migration sur l'(in)égalité de la formation » a analysé les conditions cadres et les conséquences de la dynamique actuelle d’internationalisation dans les hautes écoles spécialisées de Suisse alémanique et de Suisse romande, en prenant pour exemples les domaines de formation du Travail Social, de la Pédagogie, de l’Ingénierie et de l’Économie. Les données ont été récoltées sur la base d’entretiens avec des responsables des hautes écoles et des étudiant·e·s migrant·e·s dans les programmes de Bachelor.

Exclusion des conditions de la société de migration

Le projet de recherche a notamment examiné comment les hautes écoles définissent l’internationalisation et les objectifs associés à sa promotion. Nos résultats montrent que la mobilité internationale des étudiant·e·s et des collaborateur·rice·s est un standard d’internationalisation largement incontesté. Les programmes correspondants sont conçus dans une large mesure pour permettre des séjours d’études semestriels, dans une université partenaire à l’étranger par exemple, et pour augmenter la demande de mobilité à travers l’intégration ciblée de ces offres dans les filières d’études respectives. En plus de ces étudiant·e·s « Outgoing », celles et ceux qui viennent à la haute école en tant qu’« Incoming », pour un semestre par exemple, sont également concerné·e·s.

Or, la conception de l’internationalisation des hautes écoles ne leur permet pas de s’ajuster aux exigences d’une société de migration. En effet, les données montrent que l’internationalisation telle que pensée par les hautes écoles ignore les expériences et les ressources biographiques des étudiant·e·s migrant·e·s qui ne sont pas interprétées comme une expression de « l’internationalité ». En réduisant ainsi la complexité des relations internationales dans les hautes écoles au seul aspect de la mobilité internationale, celles-ci montrent la difficulté qu’elles ont à s’adapter à une réalité sociale caractérisée par la migration à l’échelle mondiale et les réseaux transnationaux (Karakaşoğlu 2016).

Expériences de la différence des étudiant·e·s migrant·e·s

De plus, les efforts de promotion de l’internationalité activent une logique binaire de « soi » et de l’« autre » comportant des marqueurs d’altérité et de non-appartenance. En effet, les récits des étudiant·e·s migrant·e·s mettent en lumière les distinctions et logiques binaires auxquelles ils·elles sont souvent confronté·e·s, telles que natif·ves et migrant·e·s ou encore majorité et minorité. Par exemple, nos entretiens avec les étudiant·e·s migrant·e·s des programmes de Bachelor en Travail Social et en Pédagogie suggèrent une approche peu réfléchie et inclusive des compétences linguistiques. Dans ces deux domaines, la maîtrise de la langue officielle de la haute école – respectivement l’allemand et/ou le français – est associée à des compétences linguistiques parfaites ou de « langue maternelle » qui sont considérées comme une norme largement incontestée. Or, cet impératif imposé aux étudiant·e·s migrant·e·s ne tient pas compte du fait que tou·te·s les étudiant·e·s – quelle que soit leur langue première – sont confronté·e·s au défi d’acquérir une connaissance adéquate de l’allemand ou du français en tant que langue scientifique (Knappik/Dirim/Döll 2013). En outre, dans l’espace germanophone, on attend des étudiant·e·s migrant·e·s qu’ils·elles maîtrisent non seulement l’allemand standard, mais comprennent aussi les dialectes suisses. Cela est vécu comme un défi et parfois aussi comme une exclusion. Les récits des étudiant·e·s migrant·e·s révèlent ainsi une approche monolingue qui ne tient pas compte du plurilinguisme apporté par la migration.

La provincialité de certaines hautes écoles 

Dans toutes les hautes écoles étudiées, il est observé que l’internationalisation en tant que perspective stratégique gagne en importance. Alors que dans les domaines de l’Économie et de l’Ingénierie, elle est largement partagée par les responsables des hautes écoles, elle est plus ambivalente dans le Travail Social et dans la Pédagogie. Par exemple, lorsqu’il est souligné que la pratique professionnelle du Travail Social reste ancrée dans un cadre national. Ces indications révèlent une orientation provinciale de ces domaines qui tend à se limiter à l’horizon local ou national.

En outre, les étudiant·e·s migrant·e·s sont encore plus sous-représenté·e·s dans les études de Travail Social (avec seulement 20%) que dans les hautes écoles spécialisées en général, où selon les indications de l’Office fédéral de la statistique, 29% de tous·tes les étudiant·e·s sont comptabilisé·e·s dans la catégorie «issu·e·s de l’immigration» (BFS 2017).

Pour le Travail Social, l’analyse fait ressortir un champ de tension entre la provincialité et l’orientation internationale. De plus, il apparaît que – indépendamment de sa revendication critique – les relations sociales hiérarchiques et de différence sont également effectives dans le Travail Social (Mecheril/Melter 2010). Reconnaître ces rapports de différenciation et les aborder au niveau des hautes écoles semble particulièrement important au vu des processus actuels de dynamisation sociale liée à la société de migration.

Susanne Burren est responsable de l’Unité Egalité et Diversité à la Haute Ecole Pédagogique FHNW.

Maritza Le Breton est professeure à l’Institut Intégration et Participation de la Haute Ecole de Travail Social FHNW.

Traduction du texte de l’allemand au français : Carolina Toletti, Associée de recherche à l’Institut Intégration et Participation de la Haute Ecole de Travail Social FHNW.

References:

– Bundesamt für Statistik BFS (2017). Studien- und Lebensbedingungen an den Schweizer Hochschulen. Neuchâtel.
– Karakaşoğlu, Yasemin (2016). Hochschule. In: Mecheril, Paul (Hrsg.). Handbuch Migrationspädagogik. Weinheim/Basel: Beltz, 386–402.
– Knappik, Magdalena, Dirim, İnci und Döll, Marion (2013). Migrationsspezifisches Deutsch und die Wissenschaftssprache Deutsch. Aspekte eines Spannungsverhältnisses in der Lehrerausbildung. In: Vetter, Eva (Hrsg.). Professionalisierung für Vielfalt. Die Ausbildung von Sprachenlehrer/innen
– Baltmannsweiler: Schneider Verlag Hohengehren, 42–61.
– Mecheril, Paul und Melter, Claus (2010). Differenz und Soziale Arbeit. Historische Schlaglichter und systematische Zusammenhänge. In: Kessl, Fabian; Plösser, Melanie (Hrsg.). Differenzierung, Normalisierung, Andersheit. Soziale Arbeit als Arbeit mit den Anderen. Wiesbaden: Springer VS, 117–131.

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