Démocratie – mais pas pour tou⸱te⸱s ? Le droit de vote des résident⸱e⸱s étranger·ère·s en Suisse

17.04.2024 , in ((Voting Rights for Non-Nationals)) , ((Pas de commentaires))

Les 2,4 millions d’étranger·ère·s qui sont chez elles et eux en Suisse sont pour la majorité exclu·e·s de la démocratie directe dont la plupart des Suissesses sont si fier·e·s. Bien que l’extension des droits politiques aux résidentes étrangerères fasse régulièrement l’objet de débats en Suisse, comme actuellement à Genève et à Bâle-Ville, seuls sept cantons sur 26 accordent des droits de vote aux non-ressortissant·e·s suisses. Un coup d’œil sur l’histoire et les circonstances dans lesquelles les droits politiques ont été étendus aux étranger·ère·s en Suisse permet de comprendre les conditions à l’origine de la situation actuelle et son futur développement possible.

L’extension des droits politiques formels aux résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s se concentre actuellement principalement en Suisse romande. Alors que les cantons de Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel et Vaud ont introduit ce droit de manière obligatoire dans toutes leurs communes, dans le reste de la Suisse seuls Appenzell Rhodes-Extérieures, Bâle-Ville et les Grisons permettent à leurs communes d’introduire ce droit de vote de manière facultative. Toutefois, le droit de vote pour les résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s n’est pas en soi une nouveauté. Le canton de Neuchâtel a introduit le droit de vote communal pour les non-citoyen·ne·s dès 1849, suite à son indépendance de la Prusse, afin d’apaiser cette dernière : ce droit n’a depuis jamais été remis en discussion. Le Jura, le plus jeune canton de Suisse, a introduit le droit de vote des étranger·ère·s dans sa Constitution en 1979, tant au niveau communal que cantonal. Une vague d’extension du droit de vote aux étranger·ère·s – ou du droit facultatif de l’introduire – a eu lieu entre la fin du 20e siècle et le début des années 2000 dans les cantons d’Appenzell Rhodes-Extérieures (1995), de Vaud (2002), des Grisons (2004), de Genève (2005), de Bâle-Ville (2005) et de Fribourg (2006).

Les exigences posées aux résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s pour participer à la vie politique sont élevées en comparaison européenne, mais le gain de droits est limité. La plupart des cantons exigent un permis d’établissement et/ou une durée de séjour minimale dans le canton pouvant aller jusqu’à dix ans. A l’exception du Jura et de Neuchâtel, les droits de participation politique se limitent au niveau communal; les étranger·ère·s sont exclus de la participation aux affaires cantonales. De plus, au niveau cantonal dans le canton de Neuchâtel et du Jura et au niveau communal dans le canton de Genève, les non-ressortissant·e·s n’ont que le droit de vote actif et non pas passif, c’est-à-dire qu’ils peuvent voter mais ne peuvent pas se présenter aux élections.

Graphique : Les droits de vote des résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s en Suisse. Source : Bundesamt für Statistik, Statistischer Atlas der Schweiz 2009–2024.

Qu’est-ce qui rend possible l’introduction du droit de vote des étranger·ère·s  ?

Ces dernières années, la recherche s’est de plus en plus penchée sur la question de savoir quels facteurs sont déterminants pour l’introduction de droits politiques pour les résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s. L’introduction de ces droits politiques dans le cadre d’autres réformes et révisions des Constitutions cantonales est beaucoup plus facile que l’extension du droit de vote par le biais d’initiatives populaires. Ainsi, seul le canton de Genève a introduit le droit de vote des résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s par voie d’initiative, tandis que Neuchâtel a complété le droit de vote actif au niveau cantonal introduit lors de la révision totale de sa Constitution en 2000, par le droit de vote passif au niveau communal par le biais d’une initiative populaire. L’exemple de Neuchâtel suggère que l’électorat peut réagir aux expériences positives avec le droit de vote des résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s par une extension des droits politiques par voie d’initiative.

Des changements dans la proportion de la population migrante en Suisse pourraient également être décisifs pour savoir si les étranger·e·s se verront accorder des droits politiques dans d’autres cantons dans un avenir proche. D’une part, des études internationales ont montré qu’une forte proportion d’étranger·ère·s favorise l’introduction du droit de vote des étranger·ère·s : Là où il y a beaucoup de résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s, leur participation politique a le plus de sens.

Une forte proportion de résident⸱e⸱s étranger⸱ère⸱s rend l’introduction du droit de vote des étranger·ère·s plus importante pour la légitimité démocratique à l’avenir. La population locale se montre toutefois réticente quant au partage de ses droits politiques avec les non-citoyens. C’est notamment le cas lorsque la proportion d’étranger·ère·s résident⸱e⸱s est élevée. On peut en déduire qu’il existe certes une volonté de faire participer les étranger·ère·s à la vie politique, mais les hésitations existantes concernant l’extension du droit de vote suggèrent qu’un travail supplémentaire est nécessaire pour assurer la cohésion sociale dans une société diversifiée.

L’avenir du droit de vote pour les résidentes étranger·ère·s, renforcement de la démocratie pour toutes ? 

Le thème du droit de vote pour les résident⸱e⸱s étranger·ère·s est controversé politiquement. Pourtant, d’un point de vue scientifique, l’extension des droits politiques aux personnes sans passeport suisse présente certains avantages – et ce même au-delà de la population issue de la migration. D’une part, il s’avère que les immigré·e·s habitant les cantons ayant des politiques d’intégration plus libérales, y compris le droit de vote des étranger·ère·s, se sentent plus liés à la Suisse que ceux des cantons ayant des droits moins inclusifs. D’autre part, des études scientifiques montrent qu’en réaction à l’introduction du droit de vote des résident⸱e⸱s étranger·ère·s, les Suisse⸱sse⸱s non issus de l’immigration ainsi que les immigré·e·s naturalisé·e·s participent davantage aux votations et aux élections et se sentent mieux représentés par l’élite politique. Ces résultats indiquent que l’extension des droits politiques formels n’est pas un jeu à somme nulle. Au contraire, en particulier dans une Suisse où la participation électorale est en baisse, le droit de vote des résident⸱e⸱s étranger·ère·s pourrait donner un nouvel élan à la cohésion démocratique de la société !

Anna-Lena Nadler est post-doctorante au Département d’économie de l’Université de Leiden aux Pays-Bas.

Références:

-Kayran, Elif Naz, & Anna-Lena Nadler. 2022. « Non-citizen voting rights and political participation of citizens: evidence from Switzerland. » European Political Science Review 14 (2): 206-225.
-Kayran, Elif Naz, & Anna-Lena Nadler. 2024. « Local Alien Enfranchisement and External Efficacy Perceptions: Intended and Unintended Effects on Non-citizens and Citizens. » Political Behavior: 1-24.
-Stutzer, Alois, & Michaela Slotwinski. 2021. « Power sharing at the local level: Evidence on opting-in for non-citizen voting rights. » Constitutional Political Economy 32 (1): 1-30.

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