Le jeu de l’échelle de l’intégration juridique en Suisse
Les participant·e·s du jeu de rôle « Bienvenue à Heimatland ! » ont fait l’expérience de faire partie d’un système bureaucratique qui gère les différentes autorisations de séjour. Ce jeu s’inspire du cadre juridique suisse qui représente la réalité des personnes étrangères qui s’établissent en Suisse. Ce billet de blog nous permet de réfléchir autrement aux enjeux, obstacles et contradictions du processus d’intégration tel qu’il est défini par la loi.
« Plus d’intégration, cela signifie concrètement renforcer notre cohésion sociale » (Robert Cramer, conseiller d’Etat du canton de Genève, 2013)
Cinq ans après la déclaration de Robert Cramer, la Suisse introduit un modèle d’intégration graduel plus restrictif avec l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur la nationalité (LN) en 2018 et la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) en 2019. Ce modèle repose sur le principe selon lequel plus il y a de droits rattachés à un statut juridique, plus les exigences en matière d’intégration doivent être élevées.
La structure du chapitre « intégration » de la LEI est basée sur les deux mots clés de la politique d’intégration en Suisse : « encourager et exiger ». L’Etat contribue à l’encouragement de l’intégration notamment dans les domaines de la formation, du travail, de la sécurité sociale, de la santé, de l’aménagement du territoire et des espaces urbains, dans le sport, les médias et la culture.
Des mesures d’encouragement spécifiques existent également pour les personnes étrangères ayant des besoins d’intégration particuliers, notamment dans le cadre des programmes d’intégration cantonaux (PIC).
Quels sont les différentes critères d’intégration ?
L’exigence de l’intégration est quant à elle régulée par plusieurs critères et instruments. Le respect de la sécurité et de l’ordre public, le respect des valeurs de la Constitution, les compétences linguistiques et la participation à la vie économique ou l’acquisition d’une formation sont ainsi pris en compte pour évaluer le niveau d’intégration d’une personne étrangère. Les autorités compétentes peuvent exiger qu’une convention d’intégration soit conclue afin d’indiquer clairement à la personne étrangère ce qui est attendu d’elle. Elles peuvent également formuler des recommandations pour les personnes de l’UE/AELE.
Des conséquences juridiques sont rattachées au non-respect des conventions d’intégration : les autorités peuvent retirer ou refuser de prolonger une autorisation de séjour tant qu’une convention d’intégration n’a pas été conclue ou respectée. La convention d’intégration est également prévue pour les personnes admises à titre provisoire (livret F pour des personnes qui n’ont pas obtenu de permis de séjour ou d’établissement mais dont le renvoi est illicite, inexigible ou matériellement impossible). De plus, les autorités compétentes peuvent révoquer un permis d’établissement (livret C valable de manière indéterminée) et le remplacer par un permis de séjour (livret B à renouveler tous les 5 ans de manière générale) si la personne étrangère ne remplit pas les critères d’intégration requis.
Un système d’échange d’informations entre les autorités
L’encouragement et les exigences en matière d’intégration sont encadrés par un échange régulier entre les diverses autorités compétentes. Les autorités chargées de l’exécution de la LEI s’assistent mutuellement dans l’accomplissement de leurs tâches, communiquent entre elles des renseignements sur les personnes étrangères et s’accordent, sur demande, le droit de consulter leurs dossiers. L’ouverture d’enquêtes pénales, les jugements de droit civil ou pénal, les changements d’état civil, le versement de prestations de l’aide sociale ou de prestations complémentaires, ainsi que d’autres décisions indiquant l’existence de besoins d’intégration particuliers, sont autant d’informations auxquelles les autorités ont accès pour évaluer le niveau d’intégration d’une personne étrangère.
Un jeu de l’échelle
En résumé, la LEI prévoit un modèle complexe entre exigences et encouragements qui s’apparente à une sorte de jeu de l’échelle. Au cours de leur parcours d’intégration, les personnes étrangères devront se laisser « examiner » à plusieurs reprises sur la base des critères d’intégration établis, ce qui pourra déboucher sur un renouvellement ou une prolongation de leur permis de séjour, mais également donner lieu à sa révocation. Bien que ce modèle d’intégration graduel impose aux autorités de mettre à disposition des structures et des instruments qui soutiennent et encouragent les personnes étrangères dans leur intégration économique et socioculturelle, les exigences s’en trouvent également renforcées et légitimées.
Stefanie Kurt est professeure à la HES-SO Valais-Wallis, Haute Ecole de Travail Social, Sierre et co-cheffe du projet « Governing Migration and Social Cohesion through Integration Requirements: A Socio-Legal Study on Civic Stratification in Switzerland » au nccr – on the move.
Ce texte se base sur un article publié dans une brochure accompagnant l’événement « Bienvenue à Heimatland ! » organisé par le Théâtre de la Connaissance qui s’inspire des recherches réalisées dans le cadre du nccr – on the move et de la MAPS sur le thème de la gestion migratoire.
Poursuivre la réflexion :
– Kurt, Stefanie, Christin Achermann, Lisa Marie Borelli et Luca Pfirter (2020). The Making of Social Cohesion : A Critique of Migration Law and Practices in Switzerland, nccr – on the move, blog, 3 mars 2020.
– Kurt, Stefanie (2017). Nouvelles exigences en matière d’intégration des étrangers, Plaidoyer 04/2017 du 3 juillet 2017, 20–24.
– Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) du 16 décembre 2005 (Etat le 1er avril 2020), RS 142.20.
Référence :
– Robert Cramer, conseil d’états, pour la commission des institutions politiques, premier jour des débats parlementaires le 11 décembre 2013, parlament.ch (13.030), BO 2013 E 1123.