Opération Papyrus – un bilan à mi-parcours

13.03.2018 , in ((Politique, Sans-Papiers)) , ((Pas de commentaires))

Le Canton de Genève a présenté, le 20 février 2018, un bilan à mi-parcours de l’Opération Papyrus, lancée l’année passée. Le Rapport rédigé pour l’occasion donne un visage à une population qui été laissée de côté jusqu’au présent et rouvre le débat sur les opérations de régularisation des personnes « sans-papiers ».

Où en étions-nous ?

L’Opération Papyrus, lancée le 21 février 2017, vise à faciliter la régularisation des personnes sans-papiers qui vivent et travaillent dans le Canton de Genève. Elle s’appuie sur le cadre légal représenté par l’art. 30, al. 1 let. b de la Loi fédérale sur les étrangers et par l’art. 31 de l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA). Le Canton de Genève a fixé des critères plutôt stricts pour la présentation des demandes de régularisation : 10 ans de séjour continu (5 ans pour les familles avec enfants scolarisés), indépendance financière complète, intégration réussie et casier judiciaire vierge. L’opération a pour but de favoriser l’intégration d’une partie assez importante de la population genevoise « sans-papiers », ainsi que d’assainir certains secteurs de l’économie du Canton : une campagne de contrôle de l’économie domestique est menée par l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail en parallèle aux opérations de régularisation. Une plateforme internet (bourse à l’emploi de l’économie domestique) a également été mise en place pour favoriser le rencontre entre les employeur·euse·s privé·e·s potentiel·le·s et les candidat·e·s intéressé·e·s.

Le Rapport de mi-parcours

Le Rapport de mi-parcours a été présenté par le Conseiller d’État Pierre Maudet ainsi que le Secrétaire d’État aux migrations Mario Gattiker. Selon les informations fournies, 1 093 personnes ont été régularisées depuis février 2017, dont 244 familles, et 291 célibataires. La plupart d’entre elles vient d’Amérique latine (42%), suivie par l’ancienne Yougoslavie (19%) et les Philippines (19%). Si on devait fournir un portrait-type des migrant·e·s régularisé·e·s dans le cadre de Papyrus, on parlerait d’une femme (70% des régularisé·e·s) d’origine latine et avec un bon niveau de formation, qui travaille dans l’économie domestique depuis longtemps et de manière assez stable.

Il est intéressant de remarquer que très peu de demandes de régularisation ont été rejetées par les autorités administratives (soit au niveau cantonal, soit au niveau fédéral), ce qui confirme d’abord que l’opération a été bien préparée et bien suivie par les organisations actives dans le soutien des migrant·e·s « sans-papiers » (CCSI, Collectif de soutien aux sans-papiers, Centre social protestant et Syndicat interprofessionnel des travailleur·euse·s). Ces données confirment aussi que la concrétisation des critères d’« intégration » (au sens large) formulés par l’art. 31 OASA favorise une meilleure gestion des dossiers, une confiance plus grande des personnes « sans-papiers » envers les autorités et une issue de la procédure plus prévisible et plus claire.

La suite

L’Opération Papyrus est née comme un « projet pilote », qui va donc prendre fin au début de l’année 2019. Selon les estimations du CCSI, l’Opération Papyrus devrait permettre de régulariser le statut de 2 200 à 2 500 personnes, sur les 13 000 personnes qui, selon une étude menée en 2015, vivent dans le Canton de Genève en situation irrégulière.

La suite de ce projet n’est pas encore claire mais, vu son succès, il n’est pas à exclure que certains de ses éléments puissent être stabilisés, au moins dans le Canton de Genève. Et c’est précisément là le problème le plus complexe soulevé par l’Opération papyrus : le fait qu’elle peut créer une disparité de traitement entre les personnes « sans-papiers » sur la base de leur canton de résidence. Même en remplissant les mêmes conditions que leurs contreparties genevoises, par exemple, les personnes en situation irrégulières qui habitent au Tessin n’ont aucune garantie que leur demande de régularisation soit couronnée de succès. Effectivement, depuis février passé, le débat sur l’opportunité d’une régularisation « au cas par cas » ou, si l’on préfère, d’une « normalisation » des personnes « sans-papiers » reste ouverte dans plusieurs cantons : si, dans le Canton de Vaud, la résolution présentée par le Député Dolivo a été refusée par le Grand Conseil, le Canton de Bâle semble être plus ouvert sur le sujet.

Dans le climat tendu créé par des actions telles que la motion « Pour une législation cohérente sur les sans-papiers », le débat sur Papyrus et sur de possibles initiatives similaires a le mérite de rappeler, encore une fois, que l’intégration des personnes « sans-papiers » grâce à des régularisations basées sur des critères clairs et partagés est possible dans le cadre juridique existant, et qu’elle pourrait même être dans l’intérêt de toutes et tous.

Lucia Della Torre
Juriste, Organisation Suisse d’aide aux réfugiés OSAR

 

Sans-Papiers en Suisse
La commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a déposé, le 26 janvier 2018, une motion recommandant l’adoption d’une législation cohérente sur les personnes « sans-papiers ». Cette motion demande, entre autres, une limitation des prestations des assurances sociales en faveur des personnes « sans-papiers », un service financé par l’État en cas de maladie, un durcissement des sanctions contre les employeur·euse·s, les recruteur·euse·s et les bailleur·euse·s, un échange d’informations facilité entre les organes étatiques et une précision des critères pour l’octroi des cas de rigueur. La série de billets de blog a pour objectif de reprendre et discuter certains des éléments mis en avant par la motion en lien avec les connaissances scientifiques actuelles. La motion a été retirée le 18 mai 2018.

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