Que se passe-t-il aux frontières de l’Europe ?

07.03.2017 , in ((Médias, Politique)) , ((Pas de commentaires))

Alors que l’élection de Trump et ses premiers pas à la présidence ont monopolisé l’attention des médias au cours des derniers mois, on pourrait penser qu’il ne se passe plus grand-chose aux frontières de l’Europe. Que reste-t-il de la soi-disant « crise des réfugiés » qui a déchaîné tant de passions entre 2015 et 2016 ? Que s’est-il passé depuis la fin de l’année 2016 aux frontières de l’Europe ?

On se souvient qu’en mars 2016, la Turquie et l’Union Européenne (UE) se sont entendues sur un accord permettant de renvoyer en Turquie toutes les personnes en situation irrégulière arrivées en Grèce par la Turquie après la signature de l’accord. Une personne est en situation irrégulière si elle ne demande pas l’asile ou si sa demande d’asile est jugée irrecevable. Suite à cet accord, Amnesty International a dénoncé non seulement le renvoi de demandeurs et demandeuses d’asile vers des pays où leur vie et leur intégrité physique étaient en danger mais aussi les conditions de détention particulièrement difficiles des réfugié·e·s retenu·e·s en Grèce. Les températures glaciales du début d’année 2017 ont contribué à empirer encore d’avantage la situation des quelques 15 000 personnes prisonnières des îles grecques, ainsi que de celles bloquées en Serbie (voir aussi Fakten statt Mythen n°46). La Commission européenne a par ailleurs annoncé qu’il serait à nouveau possible de renvoyer des personnes vers la Grèce selon le système Dublin à partir de mi-mars 2017.

Pendant ce temps, l’UE a développé un programme de partenariat avec plusieurs pays africains afin de démanteler les réseaux de passeurs et bloquer les migrant·e·s avant qu’ils n’atteignent l’Europe. Un plan similaire de partenariat avec la Lybie a été approuvé lors d’un sommet à Malte le 3 février 2017. Il prévoit notamment de « former, équiper et soutenir les garde-côtes nationaux libyens » afin d’empêcher les migrant·e·s de s’engager en mer. La Commission européenne argumente que ces mesures visent avant tout à sauver des vies. Cependant, elle ne dit pas ce qu’il adviendra des personnes bloquées en Lybie ou plus en amont de la route vers l’Europe.

En termes de chiffres, l’UNHCR observe que plus de 11 000 personnes sont déjà arrivées en Europe par la Méditerranée depuis le début de l’année 2017. Les Syrien·ne·s représentent 23 % de ces arrivées, suivis des Afghan·ne·s (12 %), des Nigérian·ne·s (10 %), des Irakien·ne·s (8 %) et des Erythréen·ne·s (6 %). Par ailleurs, 258 personnes ont déjà trouvé la mort ou ont disparu au moment où j’écris. Les statistiques de l’OIM indiquent que malgré la diminution des personnes arrivées en janvier 2017 comparé à janvier 2016, la proportion de personnes décédées en mer par rapport au nombre d’arrivées a nettement augmenté. Cette montée des risques s’expliquerait par l’utilisation de canots de plus en plus mauvaise qualité suite aux mesures prises par l’UE pour décourager les passeurs.

Ce rapide tour d’horizon montre que malgré les discours humanitaires des dirigeant·e·s européen·ne·s, les mesures prises visent d’avantage à réagir aux pressions populistes et xénophobes qui secouent l’UE qu’à prendre en compte les intérêts des personnes en quête de protection. Derrière le noble objectif de sauver des vies, les solutions pour empêcher les traversées et démanteler les réseaux de passeurs contribuent à éloigner la catastrophe humanitaire plutôt qu’à le résoudre, tout en précarisant encore d’avantage la situation de celles et ceux qui tentent malgré tout de traverser les frontières européennes (voir aussi Fakten statt Mythen n°63).

Si on peut se réjouir du fait que les médias mettent un peu moins l’accent sur les aspects exceptionnels et alarmistes de la situation migratoire actuelle, on aurait tort de fermer les yeux sur ce sujet qui continue à poser d’importantes questions quant à la responsabilité des pays européens et aux solutions à apporter à la crise humanitaires en cours.

Laure Sandoz
Doctorante, nccr – on the move, Université de Bâle

 

À l’origine, ce billet a été publié le 15 février 2017 sur le blog Des faits plutôt que des mythes. Les débats publics sur l’asile et la migration sont souvent empreints de mythes et d’opinions, sans que soit prise en considération la réalité des faits. En collaboration avec le Réseau suisse de jeunes chercheurs et chercheuses en études des migrations, l’OSAR souhaite questionner ces mythes et alimenter ainsi objectivement le débat.

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