Table ronde d’expert·e·s « La Suisse ‹ all inclusive › ? Migration, mobilité et inclusions différenciées ». Un épilogue.

Fort du succès de sa première table-ronde d’expert·e·s (sur le thème de l’intégration dans le domaine de l’asile), le « nccr – on the move » a poursuivi ses efforts d’instaurer un dialogue constructif entre recherche et pratique : cette fois, ce sont différentes facettes du caractère inclusif ou exclusif de la Suisse qui ont été au cœur des discussions.

L’événement a eu lieu le 30 octobre 2017 au Château de Lenzburg et au Stapferhaus, en lien avec l’exposition du Stapferhaus « HEIMAT. Sur le fil des frontières », en présence d’une cinquantaine de représentant·e·s des autorités, de la société civile, de la recherche. Les questions suivantes ont été abordées : A l’instar des agences de voyages, la Suisse est-elle capable – et a-t-elle la volonté – d’offrir des conditions d’accueil « all inclusive » ? Et si c’est le cas, dans un contexte de mobilité croissante et de migration de plus en plus qualifiée, quelles catégories de migrant·e·s sont concernées par des formules « tout compris » ? Quelles catégories en sont exclues ?

L’allocution d’ouverture de Walter Leimgruber (Université de Bâle et Commission fédérale des migrations), a donné matière à réflexion pour les divers ateliers qui allaient suivre. Dans un discours engagé, il a plaidé pour une réflexion politique qui va au-delà de la question migratoire : la question de l’inclusion et de l’exclusion est l’affaire de toutes et tous, elle touche aussi bien aux politiques sociales qu’à celles de l’éducation et de la formation. « En réalité, a expliqué Leimgruber, la politique migratoire n’est rien d’autre que la politique de la société et du futur ».

Trois ateliers ont suivi en parallèle, matin et après-midi.

Le premier a porté sur la volonté d’inclure (ou non) présente dans la législation, mais également au sein de la population suisse. Stefanie Kurt (HES-SO Valais) a présenté la nouvelle législation (Loi sur les étrangers et l’intégration et Loi sur la naturalisation) sous la forme d’un jeu des échelles, où des critères définis permettent d’obtenir un statut plus stable, mais également de « redescendre » vers un statut légal plus précaire. Les analyses présentées par Eva Green (Université de Lausanne), basées sur une large enquête auprès de la population suisse, démontrent quant à elles qu’une fierté nationale critique n’empêche en rien l’ouverture à l’égard des migrant·e·s et que les rencontres entre différents groupes de la population doivent être encouragées pour une Suisse plus inclusive. Ines Mateos (experte en formation et diversité) a insisté sur le besoin d’un discours politique et médiatique différent, qui reconnaît la réalité d’une société « post-migratoire », c’est-à-dire dont une part importante de la population, en particulier parmi les jeunes, a une histoire migratoire. L’étude menée récemment par le Service de lutte contre le racisme donne des indications sur les sentiments de menace que peuvent vivre les un·e·s et les autres: d’un côté, 16% de la population sondée se sent menacée par les étrangères et les étrangers, de l’autre 22% des répondant·e·s ont vécu une ou plusieurs expériences de discrimination, en majorité en raison de leur nationalité, leur langue ou leur accent, leur couleur de peau, leur religion ou leur origine ethnique. Les débats ont porté largement sur la difficulté à faire connaître la réalité migratoire, plus nuancée et moins effrayante qu’elle n’est généralement représentée dans l’opinion publique, les médias et les débats politiques. Une information ciblée des médias, des cours d’éducation civique mettant en lumière la réalité de cette société post-migratoire, ou encore le rôle des associations dans la participation des populations migrantes ont notamment été évoqués comme pistes.

Le deuxième atelier portait sur la situation spécifique des migrant·e·s hautement qualifié·e·s. Sur la base d’une enquête et d’entretiens qualitatifs, Flavia Cangià et Tania Zittoun (Université de Neuchâtel) ont démontré que, contrairement aux idées reçues, seule une partie des familles mobiles reçoit une aide à la « relocalisation » et qu’une majorité des enfants de ces familles vont à l’école publique. Laure Sandoz (Université de Bâle) a notamment mis en évidence les difficultés rencontrées par les partenaires des « expats », alors que Katrin Sontag (Université de Bâle) a évoqué la situation compliquée des réfugié·e·s hautement qualifié·e·s dont les besoins (et la possible contribution) ne sont que rarement pris en considération. Andreas Földenyi (SIETAR) a quant à lui confirmé que les « global welcome packs » étaient une pratique du passé et que la Suisse n’était plus un pays très attractif pour les migrant·e·s hautement qualifié·e·s. Christof Meier (Promotion à l’intégration de la Ville de Zurich) observe dans sa pratique la précarité qui caractérise de plus en plus la situation de cette population spécifique. Les présentations et la discussion qui a suivi ont ainsi mis en lumière la diversité des situations d’un groupe, les « expats », souvent présenté comme homogène et ultra-privilégié. Le rôle de l’Etat à promouvoir l’intégration de ces migrant·e·s, mais également de leurs partenaires et encore plus de leurs enfants, a suscité des débats importants. Une partie va rester, une autre va s’en aller, la migration d’installation devient ainsi un modèle du passé : les autorités, locales avant tout, n’ont pas d’autre choix que de s’adapter à cette nouvelle donne.

Au troisième atelier, il a été question de migrant·e·s que la Suisse ne cherche a priori pas à attirer mais qui font néanmoins partie de sa population : personnes « sans-papiers » et requérant·e·s d’asile débouté·e·s. Laura Rezzonico et Christin Achermann (Université de Neuchâtel) constatent une divergence entre les buts officiels de la législation permettant le renvoi de requérant·e·s d’asile débouté·e·s et leurs effets réels : alors que le dispositif se veut uniquement dissuasif, il est vécu comme une punition qui criminalise les personnes concernées. Didier Leyvraz (Université de Neuchâtel) a expliqué que les procédures de régularisation (cas de rigueur) mises en place par la Suisse s’inscrivent le plus souvent dans une tradition humanitaire. Toutefois, la récente Opération Papyrus menée par les autorités genevoises a plutôt des buts économiques. Alexander Ott (Police des étrangers de la Ville de Berne) a pris position sur les travaux de recherche présentés. D’une part, le dispositif de détention administrative des requérant·e·s d’asile débouté·e·s a les effets voulus puisqu’il promeut le départ autonome des personnes concernées, et limite le recours aux retours forcés. D’autre part, une opération telle que Papyrus ne serait selon lui pas nécessaire à Berne, car le mécanisme existant de régularisation et les bonnes relations de travail avec la « Sans Papiers Beratungsstelle » permettent de résoudre les situation au cas par cas. Enfin, Rémy Kammermann (Centre Social Protestant, Genève), qui a été l’un des instigateurs de l’Opération Papyrus, a expliqué comment celle-ci a été lancée en secret il y a six ans, et préparé en consultation avec tous les secteurs concernés (employeur·euse·s, ONG, autorités cantonales). Le projet-pilote, qui a permis de délivrer quelques 850 titres de séjour à ce jour, fait l’objet d’une évaluation. La discussion a porté essentiellement surtout sur la situation des sans-papiers. Des idées visant à faciliter la vie quotidienne des personnes en situation irrégulière ont été discutées (« citizenship cards » ou « sanctuary cities »). La mise en place d’une Opération Papyrus par d’autres cantons a été vivement débattue. Les autorités des villes en Suisse allemande ne semblent pas en percevoir la nécessité, pensant qu’il n’existe que très peu de personnes en situation irrégulière.

La journée s’est terminée, pour ceux et celles qui n’avaient pas encore eu l’opportunité de s’y rendre, par un tour de grande roue au soleil couchant et la visite guidée de l’exposition HEIMAT. L’occasion de continuer les discussions, de manière plus divertissante mais avec profondeur encore, sur les identités, les appartenances, l’exclusion et l’inclusion.

Joëlle Moret, Responsable du transfert de connaissances, « nccr – on the move »