Etre ou ne pas être un·e étranger·ère intégré·e?
La plupart des narratifs politiques ou médiatiques liés à la migration contiennent l’image d’une boîte de Pandore. Mais pourquoi n’oserions-nous pas une fois convoquer Shakespeare et Cendrillon au débat?
Faire partie de la société : véritable moteur d’intégration
Si Shakespeare questionne la complexité existentielle et identitaire à travers son fameux « être ou ne pas être », Cendrillon, elle, renverse certaines idées de classe sociale et de responsabilité rattachées à l’image de l’étranger·ère « intégré·e » dans notre société. Pour stimuler une réflexion, les occasions n’ont pas manqué la semaine passée : un podium de discussion organisé par le « nccr – on the move » et la Stiftung Mercator sur les discriminations de Suisses de « deuxième génération » et un Late night show de l’Institut Nouvelle Suisse (INES) avec des artistes comme Jilet Ayse, Meloe Gennai, ZØla et Renato Kaiser. Ma semaine réflexive s’achève, mais un évènement inattendu et banal vient m’éclairer : j’enfile une robe magnifique et dès l’instant où je me contemple dans le miroir une magie opère « Waouh, mais je suis belle ?! ». Stupéfaction : un sourire béat s’extirpe de mes tripes et je jubile. Cette robe me révèle à moi-même comme une Cendrillon sortie de sa misérable condition. Et c’est alors que – à la question « être ou ne pas être un·e étranger·ère intégré·e? » – Shakespeare m’inspire une réponse : « Tel n’est pas la question ». En effet, j’ai beau être belle, mais qu’importe si je n’en ai pas le sentiment? De même, être intégré·e ne signifie pas se sentir intégré·e. Or, le pouvoir du sentiment – celui d’appartenance à la société – peut être transformateur et révélateur d’une véritable intégration. Un passeport suisse ne suffit donc pas, rêver à Guillaume Tell non plus. Il faut des processus réciproques d’engagement et de volonté de la part des membres et organes de la société.
Révéler le citoyen caché en nous
Combien de Suisses·ses ne se sentent pas Suisse parce qu’on leur renvoie une image de « faux Suisses » ? Et combien de Suisses·ses diffèrent dans leur conception même de la Suisse ? Une société fractionnée en catégories d’étrangers·ères – nommé·e·s tantôt migrant·e·s, réfugié·e·s ou expatrié·e·s – et en classes de « bons ou mauvais » citoyen·ne·s ne peut que nuire à la cohésion sociale. Associer la politique, les lois et les prises de décisions à l’objectif de rassembler et non pas de diviser la population poserait alors les bases d’un engagement citoyen possible. Les acteurs·rices de l’économie jouent également un rôle, puisque le marché du travail est considéré comme l’un des vecteurs principaux d’intégration. Une politique d’entreprise mettant en valeur les compétences, mais également les ressources humaines et sociales de ses collaborateurs profiterait financièrement à tous. En somme, la société est comme un miroir qui devrait laisser à chacun une possibilité de s’y voir comme citoyen·ne à part entière : un·e citoyen·ne capable d’être et de se sentir intégré·e.
Cet article a été publié le 25 septembre 2018 sur le blog « Migration et intégration(s) | Le blog de Hélène Agbémégnah » du quotidien Le Temps.