La détention administrative, un dilemme éthique pour le travail social

30.01.2019 , in ((Social Work)) , ((Keine Kommentare))

La rapide évolution de la migration internationale implique des tensions dans la mise en pratique des droits humains. Les Etats tentent de gérer le flux migratoire avec les outils légaux existants, sans pouvoir toujours respecter les droits fondamentaux. La Suisse, dépositaire des conventions de Genève du droit international humanitaire, est confrontée à ce dilemme. Dans le domaine du travail social, le constat est le même, notamment pour la détention administrative des requérant·e·s d’asile.

Les professionnel·le·s du travail social sont soumis·e·s au code de déontologie régissant leur pratique. Cette base a pour fondement la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) édictant les droits inaliénables de chaque être humain (AvenirSocial, 2006). Aussi, dans le cadre de l’accompagnement des requérant·e·s d’asile, les travailleurs et travailleuses sociales sont placé·e·s dans une posture éthique complexe. D’un côté, leur rôle de « fonctionnaire » de l’Etat et garant·e du cadre légal, et de l’autre, leur engagement éthique auprès du public cible. À propos du travail social et de sa relation à l’éthique, Brigitte Bouquet souligne : « L’action sociale se trouve interrogée par les contradictions sociales sur ses finalités même, sur le sens du vivre ensemble […] L’évolution socio-économique, le libéralisme, la mondialisation, l’évolution des problèmes sociaux […] le bouleversent les métiers du travail social » (2017).

Comment résoudre le dilemme éthique ?

Nous pouvons dès lors nous questionner sur le véritable rôle et la responsabilité des professionnel·le·s du travail social qui vivent aussi ce dilemme éthique de manière personnelle. Dans le cadre de mon travail de Bachelor, une personne interrogée s’exprimait à propos de la détention administrative : « C’est difficile d’appliquer avec humanité des décisions de renvoi. Je pense qu’il y a un certain détachement lorsqu’il s’agit de mettre en pratique un renvoi » (2017). Par conséquent, les professionnel·le·s devraient manifestement faire un choix entre les droits humains ou le cadre légal, puisque ces deux entités se retrouvent en tension dans la pratique. Mais cette contrainte de choix se reporte aussi au niveau personnel, étant donné la contradiction possible au niveau des valeurs internes. C’est en quelque sorte une « dichotomie professionnelle » interrogeant la marge de manœuvre de ces professionnel·le·s, mettant en valeur le dilemme entre éthique et injonctions légales.

Dans les faits, l’intervention des travailleurs et travailleuses sociales dans la détention administrative est plutôt sommaire. Pour exemple, au Centre de détention pour étrangers LMC de Granges en Valais, les seules visites sont organisées par la Croix-Rouge, de manière hebdomadaire, avec pour objectif un suivi administratif des personnes. Cet accompagnement ne semble que très peu influer sur le respect des droits humains des détenu·e·s. Plusieurs rapports de la Commission de justice valaisanne (COJU) et une pétition des détenu·e·s ont été réalisés (en 2010, 2011, 2012, 2016) afin de dénoncer les conditions de détention. Le dernier rapport de 2017 stipule : « Ils [les détenu·e·s signataires] demandent au Grand Conseil du canton du Valais, par le biais de sa COJU, que des mesures soient prises urgemment afin de remédier à cette situation qui est contraire au respect de la dignité humaine » (COJU). Les sorties restreintes, l’accès aux activités sportives et aux distractions limité, l’insalubrité des cellules et le manque de visites médicales sont signalés dans ce rapport. De plus, l’enfermement des requérant·e·s d’asile en fin de droit peut faire l’objet d’une formulation de « déni de droits » selon Claire Rodier : « le déni des droits fondamentaux des étrangers ne doit pas conduire à penser que l’histoire se répète, non plus qu’à surestimer la puissance des pouvoirs administratifs et politiques à l’origine de cette entreprise protéiforme d’enfermement » (2003). En résumé, comment l’éthique des professionnel·le·s s’exprime-t-elle malgré le cadre légal par lequel ils et elles sont régi·e·s ?

Repenser le profil professionnel éthique

En considérant l’influence politique et économique dans le domaine de la migration, les professionnel·le·s du travail social seront amené·e·s à penser leur action de telle sorte à développer la cohérence dans leur pratique. Pour ce faire, une remise en question de leur profil et de leur habileté à influencer le système légal devra certainement adopter une casquette militante. Aussi, des organisations non-gouvernementales (ONG) et associations telles qu’Amnesty International ou l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) travaillent sur ces questions, et publient régulièrement. La fonction de la société civile est de surcroît en permanente évolution. Ne serait-ce alors pas avec cette société civile que les professionnel·le·s du travail social devraient davantage collaborer ?

Elise Taiana, Research Assistant, School of Social Work, HES-SO Valais-Wallis.

Références:

– AvenirSocial. (2010). Code de déontologie du travail social en Suisse : un argumentaire pour la pratique des professionnel-le-s. Berne: AvenirSocial.
– Bouquet, B. (2017). Éthique et travail. Une recherche du sens. Paris : Dunod.
– Grand Conseil (2017). Rapport concernant le Centre LMC de Granges.
Loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi) : RS 142.31.
– Rodier, C. & Blanchard, E. (2003). L’Europe des camps. Plein droit, 58(3), 14-17.

 

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